5e DIMANCHE DE CARÊME B
21 mars 2021
- Frère Marie-Jean BONNET
Introduction : Nous sommes heureux d’accueillir le Père Jean-Marie Couvreur, abbé émérite de l’abbaye Notre-Dame du désert près de Toulouse. Soyez les bienvenus, bien sûr, pour célébrer le Seigneur.
En ce 5ème Dimanche -déjà- de Carême, la liturgie nous prépare plus directement à célébrer ce Mystère Pascal que nous célébrons, bien sûr, en chaque Eucharistie. Mais il nous est salutaire de le célébrer d’une manière plus solennelle chaque année, bien sûr, pour peut-être prendre conscience un peu plus, avec la grâce de Dieu, chaque année, du réalisme de la Passion du Sauveur, du réalisme de ce qu’il a, oui, le prix qu’il a payé pour nous arracher à la mort éternelle.
Et aussi, bien sûr, pour réveiller, susciter une réponse toujours plus fidèle à cet amour sauveur, car il n’y a pas d’autre chemin de salut que celui de la croix, il nous faut, nous aussi, mourir, mourir à notre volonté propre dans la mesure où elle s’oppose à Dieu. Mourir à tout ce qui résiste à l’Esprit-Saint en nous, et c’est dur, et c’est pourquoi nous avons besoin de fixer notre cœur sur le Christ qui est passé par ce chemin et qui nous offre ses mains comme il est représenté sur les icônes orientales, arrachant Adam et Ève à la mort, il faut nous laisser empoigner par le Christ pour le suivre sur ce même chemin de mort à l’homme ancien qui est en nous, pour vivre de sa vie nouvelle.
Demandons pardon pour tout ce qui résiste en nous à l’Esprit-Saint.
Homélie : L’évangile, un évangile étonnant de contraste qui nous prépare déjà à entrer effectivement dans la célébration de la Pâque de Jésus, de ce contraste, bien sûr, entre sa mort, son anéantissement, et sa résurrection à une vie nouvelle, une vie qu’il va communiquer.
Selon Saint Jean, l’événement que nous venons d’entendre se situe dans la foulée de l’entrée de Jésus à Jérusalem, l’entrée triomphale au seuil de la Semaine Sainte que nous allons entendre dimanche prochain. Des Grecs, sympathisants de la foi juive sont venus à Jérusalem pour célébrer la Pâque avec les juifs, et devant l’accueil triomphal qu’a reçu Jésus, et certainement au courant de sa réputation, ils demandent à rencontrer Jésus.
Et pour Jésus, cette soif, ce désir exprimé par des non-juifs est le signe que son heure comme il l’appelle si souvent, dont il parle dès Cana, « Mon heure », c’est-à-dire le sommet effectivement de son œuvre, eh bien, son heure est venue cette fois-ci : « L’heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié », c’est-à-dire d’être reconnu comme Fils de Dieu et Sauveur de tous les hommes.
On pense aussi à ce païen, à ce centurion romain, qui au pied de la croix va s’exclamer : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ». Oui, l’heure de Jésus est venue et d’où sa joie immense, bien sûr, en voyant déjà la fécondité de cette heure : « Moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». Il faut accueillir dans la foi cette parole qui semble encore si loin d’être réalisée, mais c’est Jésus qui l’a dit, donc c’est lui qui dit vrai. Quelle merveille quand nous donnons la foi à la Parole de Dieu. Nous accueillons dans la foi ses paroles qui nous bousculent, qui nous semblent à première vue, ben non, il y a si peu de gens qui connaissent Jésus encore. « Quand j’aurai été élevé de terre j’attirerai à moi tous les hommes ».
Mais Jésus sait aussi, et c’est là le contraste et voit que cette fécondité sera le fruit de l’offrande totale de sa vie ; d’où cette parole : « Amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruits ». Et devant la perspective de sa Passion et de sa mort, Jésus est bouleversé parce qu’il est pleinement homme, totalement homme, et il vit un véritable combat dont l’apôtre Jean a été le témoin.
Saint Jean ne rapporte pas, à la différence des autres évangiles, ne rapporte pas la scène de l’agonie de Jésus au jardin des oliviers, mais cette scène qu’il rapporte dans l’évangile de ce jour est exactement du même ordre. Jésus vit un terrible combat entre l’effroi de sa nature humaine face à la souffrance et à la mort qui l’attendent, et en même temps sa volonté filiale, indéfectible de s’en remettre totalement à la sagesse du Père.
La lettre aux Hébreux, que nous avons entendue aussi tout à l’heure, fait écho à ce terrible combat traversé par Jésus. « Il a présenté, – nous dit l’auteur, – sa prière et sa supplication à Dieu, avec un grand cri et dans les larmes, et il s’est soumis en tout ».
Combien, je crois, il nous est salutaire de nous remettre devant les yeux que le Christ n’a été aucunement épargné par la vie. C’est vrai que nous sommes bouleversés par certaines vies, on se dit vraiment, des gens qui accumulent les souffrances, et c’est mystérieux, bien sûr. Eh bien, le Christ, en tout cas, lui, n’a été aucunement épargné par la vie, bien au contraire, il a intégralement partagé notre condition humaine, d’épreuves, d’angoisses et de mort. Mais au lieu de se débattre seul, comme il nous arrive parfois, on veut résoudre nos problèmes par nous-mêmes, alors qu’il faudrait se laisser aider, et surtout effectivement se tourner davantage vers le Seigneur, au lieu de se débattre seul, il fait monter sa détresse vers son Père, « il la présente », dit l’auteur, c’est une offrande, c’est un sacrifice.
Il présente sa supplication en offrande à son Père, et on nous dit qu’il a été exaucé. Oui, il a été exaucé, non en étant épargné par la mort, mais en étant délivré de la mort par sa Résurrection, déjà, mais surtout en raison de ceci, c’est que sa prière n’est pas d’abord : « Seigneur, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi », non, sa prière c’est : « Seigneur, Père, oui, que je sois fidèle à ma mission de Sauveur ». Que voulait Jésus ? -oui,- Uniquement accomplir sa mission de Sauveur… Au milieu même de sa peur de souffrir, le Père lui « apprend », nous dit la lettre aux Hébreux, que cette angoisse fait partie de son obéissance à sa mission de Sauveur… Elle aussi est salvatrice, comme tout ce qu’il vit en profonde conformité avec la volonté du Père. (A. Sève)
Sa prière au seuil de la Passion, comme à Gethsémani, devient pour nous une école de prière, spécialement lorsque les épreuves et parfois l’angoisse nous saisissent.
Je lisais dans un commentaire de Marie-Noëlle Thabut, que vous connaissez, je pense, citant elle-même une réflexion de psychologue, elle disait « qu’on peut distinguer trois étapes dans la croissance spirituelle. Première étape, celle de l’enfant, assimilable au comportement de l’enfant qui ne connaît que son désir et son plaisir, -son désir qui est le fruit de son plaisir- ; l’enfant qui tape des pieds en disant : « Que ma volonté se fasse », ou s’il ne le dit pas comme ça, il l’exprime à sa manière, voilà, en tapant du pied et en criant.
« Deuxième étape -dans la vie spirituelle-, parce qu’on a pris conscience de notre impuissance à combler par nous-mêmes tous nos désirs, alors on prie Dieu pour qu’il nous aide, -il devient notre auxiliaire en quelque sorte de notre volonté- : la prière devient « que ma volonté se fasse avec ton aide », -s’il-te-plaît, Seigneur. Reconnaissons humblement que souvent nos prières sont peut-être de cet ordre là. Sans nous en rendre compte nous voulons mettre Dieu à notre service.-
« Troisième étape -de la croissance spirituelle-, celle de la foi, vraie, profonde, celle de la confiance absolue dans le projet de Dieu : « Que ta volonté se fasse et non la mienne ». » Oh, ça ne nous dispense pas de présenter nos désirs, nos espoirs et nos peurs au Seigneur, bien sûr ; comme l’a fait Marie à Cana, elle présente simplement un besoin : « Ils n’ont pas de vin ». Ou comme les sœurs de Lazare : « Celui que tu aimes, Seigneur, est malade ». C’est tout, ça suffit, le Seigneur sait ce qu’il a à faire, voilà la foi. Autrement dit, cela revient à dire : « Père, tu connais mes désirs, mes espoirs, mais je m’en remets à toi, je te fais confiance quoiqu’il arrive. »
N’avons-nous pas encore et toujours, oh, je le crois, à vivre cette conversion de notre prière ? Sinon, nous risquons d’être toujours dans le ressentiment envers le Seigneur et parfois la révolte, parce que nous ne comprenons pas ses chemins, mais il voit plus loin, plus profond que nous.
C’est cette même confiance, cette même foi inébranlable en Dieu qui a permis à tous les prophètes de la première Alliance, et en particulier à Jérémie qui a été sans doute, j’allais dire, le prophète, en tous cas l’un des prophètes les plus contrés, les plus persécutés. Eh bien, ce Jérémie, oui, malgré tout cela, au cœur même d’une situation tragique pour le peuple de Dieu qui est en instance d’être déporté, il tient bon dans l’espérance. Il voit effectivement toujours plus loin, plus profond que la situation présente, et il peut même annoncer en dépit de toutes les apparences contraires, eh bien, que l’Amour de Dieu se montrera toujours plus fort que tout ce qui lui résiste : « Voici venir des jours, déclare le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une Alliance nouvelle ». Et de dire que, effectivement le cœur des hommes sera changé.
Et c’est du reste ce même message d’espérance que les prophètes, les authentiques prophètes de tous les temps diffusent, et en particulier notre Pape François, c’est ce message d’espérance qu’il a offert à ce peuple martyr, ce peuple irakien, lors de sa récente visite, je cite : « Il est facile d’être contaminé par le virus du découragement qui semble parfois se répandre autour de nous » -le Pape marchait au milieu de ruines, d’un pays en ruine, d’un pays martyr, oui, eh bien de dire cela : « Il est facile d’être contaminé par le virus du découragement… Pourtant, le Seigneur nous a donné un vaccin efficace contre ce mauvais virus, c’est l’espérance qui naît de la prière persévérante, -l’espérance naît de la prière persévérante,- et de la fidélité quotidienne à notre apostolat, -à notre mission, à notre vocation.- Avec ce vaccin -de l’espérance,- nous pourrons aller de l’avant avec une énergie toujours nouvelle, pour partager la joie de l’évangile, comme disciples missionnaires et signes vivants de la présence du règne de Dieu, règne de sainteté, de justice et de paix ».
Alors peut-être, face à ces prophètes de tous les temps, et face à notre Pape François qui ose dire ces choses là devant un peuple qui a tant souffert, et qui souffre encore, peut-être faut-il nous poser la question : est-il utile de me demander, me demander, en ces jours qui sont difficiles pour la plupart d’entre nous, certes, de différentes manières, faut-il nous demander quelle est en vérité ma foi, ma confiance dans le Seigneur, voilà ? Est-ce que ma foi est ébranlée par tout ce qui se passe, ou est-ce que je lui fais confiance malgré tout ? Est-il profondément mon espérance, est-ce que j’attends un salut des stratégies humaines, ou est-ce que j’attends le Salut de Dieu seul ? Suis-je autour de moi, par mes paroles et par ma vie, semeur d’Espérance ? Amen.