2e DIMANCHE DE CARÊME B

28 février 2021

  • Frère Jean François	CROIZÉ Frère Jean François CROIZÉ

Introduction : « L’amour de Dieu le Père, » c’est cet amour qui va se révéler, qui s’est déjà révélé. Vous vous souvenez, dimanche dernier c’était le dimanche, j’allais dire, de la tentation de Jésus au désert, mais en fait lorsque l’Esprit-Saint pousse Jésus au désert, il le pousse justement vers cette solitude mais qui n’est qu’une profonde intimité avec son Père, c’est une rencontre avec le Père qui lui a permis de vaincre les tentations.
Aujourd’hui, Jésus nous emmène sur la montagne, vous savez, il marche beaucoup, marcher dans le désert, il va gravir la montagne avec ses disciples, et là, il va se trouver dans la lumière du Père. Eh bien, accueillons cette lumière car nous-mêmes nous sommes des enfants de Dieu et nous avons besoin de la parole du Père qui nous redonne confiance : « Confiance, écoutez-le ». Eh bien, entrons dans ce regard du Père, dans cette confiance pour pouvoir marcher vers le but auquel on est appelé, c’est-à-dire Pâques. Nous avons un but, il nous faut avoir le regard fixé sur ce but.
Eh bien, entrons dans cette célébration en reconnaissant que nous sommes pauvres et pécheurs mais confiant dans la bonté du Père, dans sa miséricorde.

Homélie : Chers Frères et Sœurs, en entendant la première lecture, vous savez le sacrifice d’Isaac, m’est revenu en mémoire un fait historique qui a eu lieu il y a quelques années :
C’était une jeune femme, au moment de l’accouchement, il se trouve que il y a eu de grosses complications et les médecins et les chirurgiens ont dit à la jeune femme qu’il fallait faire un choix, ou bien elle devait vivre et pas l’enfant, ou l’enfant devait vivre mais pas elle. Immédiatement, la jeune femme a répondu : si je lui donne la vie, c’est pour qu’il vive, qu’il vive. Effectivement, l’enfant a vécu mais elle, n’a pas survécu. Elle a donné sa vie pour que son enfant vive. Et je crois qu’aujourd’hui, en entendant cette parole de Dieu, on ne peut la comprendre qu’à travers cet acte d’amour qui s’offre, qui donne sa vie.
Et comment pourrions-nous définir la Parole de Dieu de notre 2ème dimanche de Carême ? Je crois que ce qui s’offre à notre regard ce n’est pas une fiction mais une réalité, une personne, celle du Fils Bien-Aimé. Le fils bien-aimé d’Abraham, son fils unique, c’est Isaac. Le Fils Bien-Aimé du Père, son Fils unique, c’est Jésus. Et nous sommes dans le dimanche du Fils Bien-aimé. Et ces deux fils uniques sont appelés à être sacrifiés l’un selon un précepte, l’autre par amour. Le premier a été préservé, le second sera crucifié. Et ce dimanche nous l’appelons : Dimanche de la Transfiguration.
Transfiguration du regard d’Abraham sur la montagne au pays de Moriah, lorsqu’il entendit l’Ange du Seigneur lui dire : « Ne porte pas la main sur l’enfant ! Ne lui fait aucun mal ! » Transfiguration de la vie d’Abraham lorsqu’il entendit Dieu le combler de bénédictions dans son fils Isaac, enfant de la promesse et sa descendance. Imagine-t-on un moment le supplice intérieur dans le cœur d’Abraham emmenant son fils pour être sacrifié et devant porter lui-même le couteau dans le cœur de son fils unique ? Imagine-t-on un moment le désespoir de sa mère Sara, si elle en avait eu connaissance ?
Or, les Cananéens, au milieu desquels vivait Abraham, et d’autres peuples encore, pratiquaient l’holocauste des premiers-nés. Nous savons même, par la Bible, que les Hébreux ne résistaient pas toujours à cette coutume inhumaine, cruelle. Alors que de nos jours, la pratique de la mort des enfants à naître, sacrifiés sur l’autel de l’égoïsme et du mépris de la vie et de Dieu, se répand dans le monde entier sans état d’âme, apparemment sans trouble de conscience.
Dieu merci, l’Ancien Testament n’a pas toléré de pareils excès : par contre, il a codifié l’usage de l’offrande, sans immolation, des premiers-nés à Dieu, c’est ainsi, par exemple, que Marie et Joseph ont offert un couple de tourterelles pour le rachat du Premier-né, selon la loi juive. Il fallait marquer le droit divin sur les familles humaines, mais affirmer en même temps que l’homme ne peut disposer à son gré de la vie de ses semblables. La vie n’appartient qu’à Dieu.
Dans cette histoire difficile, comprenons que Dieu a le droit de vie et de mort sur les hommes. Mais il ne veut pas en user. C’est pourquoi, il a montré, pour Isaac, jusqu’où vont en droit les théories et où il les limite en pratique. Quoi qu’il en soit de la douleur paternelle d’Abraham que nous comprenons trop bien dans le temps qui précède le sacrifice, Abraham est l’homme de la foi obéissante jusqu’à l’héroïsme. Comme il a quitté son pays et sa famille sur une simple injonction divine, ici de même, il se soumet sans hésiter et sans récriminer aux ordres de Dieu. Que Dieu ou son ange intervienne, extérieurement ou intérieurement, la réponse d’Abraham est toujours la même : « Me voici ! »
La figure d’Abraham sera pour nous l’image du Père céleste, qui pour sauver tous ses enfants, à cœur ouvert, n’hésite pas à offrir son Fils consentant librement à l’immolation pour notre salut, pour nous sauver. Les exemples sont nombreux de personnes qui pour sauver du danger un semblable, se sacrifient.
Nous pensons à Maximilien Kolbe et tant d’autres. A cette maman dont je parlais, lors d’un accouchement, au risque de sa vie, pour donner la vie à son enfant à naître, donne la sienne.
Le Christ, lui, ne marchera pas vers son sacrifice dans l’ignorance relative où l’on nous montre Isaac. Jésus ayant, dès son entrée dans le monde, répondu à l’appel de Dieu son Père, prononcera le « Me voici ». Il s’engagera par l’obéissance héroïque dans la voie du sacrifice, et comme Isaac, il invoquera son Père en lui remettant sur la croix, son esprit.
La Transfiguration de Jésus intervient à un moment particulièrement critique de sa vie dans l’Évangile. Jésus n’est pas accepté et il en a parfaitement conscience. Dans les jours qui ont précédé, Pierre avait bien reconnu que Jésus est le Messie, il l’avait dit d’ailleurs, le Fils de Dieu, « tu es le messie, le Fils de Dieu », alors Jésus avait révélé à ses disciples sa passion et Pierre avait alors réagi violemment par un refus. Jésus l’a repris avec énergie. Et c’est, dans ces circonstances préoccupantes, angoissantes, que Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean. Et avec ses trois disciples, il monte sur la montagne dans la solitude et commence à prier.
Oui, avant les événements que l’on sait être douloureux, il nous faut prier, prier intensément. Or pendant que Jésus prie, son visage change d’aspect, la prière nous ouvre le cœur, nous ouvre le regard, l’esprit, et il est transfiguré et ses vêtements deviennent d’une blancheur éclatante. La Transfiguration est une manifestation de la relation intime que Jésus entretient avec son Père, il est resplendissant de la gloire du Père. Dans le même temps, deux autres personnages essentiels de l’Ancien Testament apparaissent dans leur gloire : Moïse et Elie. Ces deux-là avaient fait l’expérience de voir Dieu sur la montagne dans des circonstances aussi tragiques ; cependant leur vision de Dieu n’a été seulement que de dos, c’est-à-dire qu’elle s’est résumée à entendre la voix de Dieu.
Mais sur la montagne de la Transfiguration, Pierre, Jacques et Jean ne se contentent pas de voir Dieu de dos en entendant la voix dans la nuée, ils le voient sur un visage, sur le visage de Jésus. Et ce visage de Jésus manifeste le Père, il manifeste sa gloire intime. Dans le même temps, Pierre, Jacques et Jean reçoivent, eux aussi, leur loi. La nuée cache, en même temps qu’elle manifeste, la puissance divine. Une voix s’en échappe qui dit : « Celui-ci est mon Fils, Bien-aimé, écoutez-le ! »
Et donc la loi nouvelle est résumée en un seul mot : « écoutez-le ! » La loi nouvelle n’est plus une institution gravée dans la pierre mais dans l’écoute du cœur, elle est une personne qu’il faut écouter et suivre, elle est une personne donnée, offerte. La miséricorde de Dieu se manifeste dans l’existence de Jésus d’une manière totalement renouvelée, incomparable. La Transfiguration prépare les disciples à affronter le drame de la Passion de Jésus, lorsque celui-ci sera humilié, accusé, bafoué, condamné, finalement crucifié.
De plus, la Transfiguration doit les préparer et leur permettra de comprendre la Résurrection de Jésus, non dans la glorification d’un homme, car la Transfiguration leur a manifesté qu’il est le Fils de Dieu, le Fils unique. Sa Résurrection sera le retour à la gloire du Fils unique de Dieu avec son humanité qu’il a reçu de Marie par son Incarnation.
Transfiguration du Christ pour transfigurer notre regard humain, qui nous rendra capable de voir la présence de Dieu dans la chair du Crucifié sur la croix. Pour nous permettre d’arriver à Pâques non pas malgré la Croix mais à travers la Croix en partant de l’épreuve du désert que Jésus a traversée et qui nous rappelle que la vie humaine est un exode. Notre chemin du Carême est un retour à la maison qui passe par le désert, lieu de l’épreuve et de la rencontre avec Dieu.
De cette façon, nous pouvons comprendre quel est le chemin que la liturgie de ce dimanche nous indique : celui d’un pèlerin qui accomplit l’exode qui le conduit à la Terre promise : la vie éternelle avec le Christ, par le Christ et dans le Christ. Un chemin imprégné de nostalgie, certes, constellé de précarité et de faiblesse, bien sûr, mais plein d’espérance, celle de ceux qui ont le cœur blessé.
Sur notre chemin, pour qui veut bien la voir, le Christ offre sa lumière qui est présence dans l’obscurité de la foi, ainsi que l’écrit le Pape François : « La luminosité qui caractérise l’événement extraordinaire de la Transfiguration, en symbolise le but : illuminer les esprits et les cœurs des disciples afin qu’ils puissent comprendre clairement qu’il est leur Maître. C’est un éclat de lumière qui s’ouvre soudainement sur le mystère de Jésus et illumine toute sa personne et toute son histoire ».
« Dans la Passion du Christ, l’expérience du beau reçoit une nouvelle profondeur, un nouveau réalisme. Celui qui est « la beauté en soi », « le plus beau des enfants des hommes », comme nous dit l’Écriture, s’est laissé frapper sur le visage, couvrir de crachats, couronner d’épines. Mais c’est vraiment sur ce visage défiguré qu’apparaît l’authentique, l’extrême Beauté de l’Amour qui aime « jusqu’à la fin » en se montrant ainsi plus fort que tout mensonge et toute violence. »
Dans la lumière de la Transfiguration, nous sommes appelés à se donner au Christ en abandon total, se fier à son amour pour annoncer de cette façon la vérité de la beauté, la beauté crucifiée, la beauté transfigurée, la beauté du Christ qui est notre vraie beauté.
Et dans cette lumière, de montrer que l’écoute est la dimension principale du disciple du Christ. Le Père aujourd’hui nous dit : « Celui-ci est mon fils, le Bien Aimé : écoutez-le » (Marc 9,7). Et fortifié et comblé par cet amour du Père en Jésus, de témoigner de la nécessité de descendre de la Montagne pour retourner à la mission d’évangélisation du Seigneur, mission qui passe par la croix, bien sûr, et proclame la Résurrection qui n’est que la Transfiguration rendue éternelle dans l’Humanité du Seigneur.
Eh bien, à l’exemple de la Vierge Marie, comblée de grâce, dont le cœur est habité de la Parole de vie, que cette Parole qui a besoin de silence, soit écoutée attentivement. Demandons à Marie de faire l’expérience intérieure de la présence lumineuse de Jésus afin de communier en vérité à l’humble présence de Jésus dans l’Eucharistie. Amen.