5ème Dimanche de Pâques (A)

12 mai 2020

  • Frère Jean François	CROIZÉ Frère Jean François CROIZÉ

Introduction : Chers Frères et Soeurs, Dieu qui a envoyé son Fils, qu’Il regarde avec bonté ceux qui l’aiment comme un Père, voilà la prière que nous lui adressons aujourd’hui au début de cette Eucharistie, cette prière s’adresse à notre Père des cieux.

Et en écho notre évêque dans sa lettre pastorale qu’il nous adresse aujourd’hui, formule ce vœu : « En ce mois de mai, sachons nous mettre à l’écoute, avec Marie, de ce que l’Esprit-Saint dit à notre Église. Qu’il nous aide à discerner les signes des temps et mieux percevoir les attentes cachées des cœurs. Qu’il nous maintienne dans l’espérance et la joie de ceux qui croient malgré les vicissitudes de l’existence. Que le Ressuscité marche avec nous sur la route et qu’il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».

Se mettre à l’écoute, c’est bien sûr prier pour toutes les détresses dans le monde, unis à la prière et à la supplication de toute personne privée de l’Eucharistie mais non pas de la Parole de Dieu.

Prions sans nous lasser et nous pouvons aussi nous recommander à la prière de Sainte Jeanne d’Arc qui est la patronne secondaire de la France et la prier pour notre pays.

Eh bien ! reconnaissons-nous pécheurs, accueillons la miséricorde du Seigneur et le pardon de nos péchés.

 

Homélie : Chers Frères et Sœurs, lequel d’entre nous ne s’est pas trouvé un jour dans une situation de détresse au point de prendre la mesure de notre précarité, de notre vulnérabilité ?

Et sans doute avez-vous été sensibles aux trois situations problématiques relatées :

– D’une part, dans les Actes des Apôtres, au sujet d’une injustice dans le partage des secours attribués aux personnes âgées,

– D’autre part, dans la 1ère lettre de Saint Pierre, la persécution jusqu’à la mort de Jésus, pierre vivante que les hommes ont éliminée.

– Et enfin, dans l’évangile selon Saint Jean, le désarroi chez les disciples suscité par l’annonce du départ crucifiant de Jésus.

De telles situations déstabilisent et génèrent avec l’inquiétude, de l’insécurité, et l’insécurité fait expérimenter et prendre conscience de la fragilité et de la vulnérabilité de notre condition humaine.

Le passage de l’évangile nous ramène au dernier repas de Jésus avec ses disciples avant sa Passion. Jésus annonce son départ vers la maison du Père. Ses disciples sont inquiets, la peur est présente, naturellement ils cherchent à être rassurés, à comprendre, à savoir. Jésus connaissant leur angoisse veut les rassurer pour surmonter leur crainte : « Ne soyez donc pas bouleversés ».  L’inquiétude qui s’est emparée du cœur des disciples au Cénacle est une peur profonde, celle de la séparation, de l’inconnu, de l’avenir. Sans la présence de Jésus ils se sentent abandonnés et se reconnaissent vulnérables. Souvenons-nous : lorsque Jésus avait annoncé que sa chair serait donnée en nourriture, il s’est retrouvé abandonné des disciples. Et lorsqu’il a posé la question de la confiance à ses proches, Pierre lui a répondu : « A qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle » ? (Jean 6,68). De nouveau à Gethsémani, ses disciples se sont endormis, Jésus a éprouvé la solitude, l’abandon, l’angoisse mortelle jusqu’à la sueur de sang  « Vous n’avez pu veiller une heure avec moi ». (Matthieu 26,40.)

La peur d’être exclue, exposée à la vulnérabilité, la 1ère communauté chrétienne l’a expérimentée dans le partage des biens jusqu’à susciter une véhémente revendication et même la division. Comme les disciples, nous sommes tous, à un moment ou à un autre de notre vie, fragiles et vulnérables et, de nos jours, nous l’expérimentons mondialement dans l’incertitude, la menace de l’épidémie, les tâtonnements, les manques de transparence politique de l’information ; la caisse de résonance médiatique elle-même transforme le prochain de frère en menace virtuelle ou réelle. Ainsi que l’écrit Monseigneur Scherrer dans la lettre pastorale qu’il vient de publier aujourd’hui : « Il a suffi d’un microbe de rien du tout, mais d’une virulence extrême, pour gripper l’économie et stopper net la course effrénée d’un monde lancé à toute allure comme un train à grande vitesse. Nous avons pris tout à coup conscience que nous n’étions pas invulnérables, que nous ne pouvions pas simuler indûment le jeu de la toute-puissance, que notre humanité était traversée par la fragilité, la faiblesse. »

La vulnérabilité est omniprésente, elle traverse toute la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse. La vulnérabilité a toujours suscité la compassion de Dieu, lorsque, par exemple, Adam a éprouvé la solitude, Dieu créa Ève ; lorsque Adam et Ève se sont coupés de Dieu et se sont cachés dans leur honte, Dieu leur a confectionné des vêtements pour se couvrir et se protéger. En cela, il se montre Père pour ses enfants. La personne vulnérable, dans la Bible et de nos jours, c’est encore l’infirme, la personne âgée, la veuve, l’orphelin, l’étranger, ceux qui sont dépendants de l’hospitalité, de la solidarité, de l’amitié. La vulnérabilité est un appel désespéré à la relation humaine, à la fraternité sociale, et parfois, elle est ouverte à un chemin de réconciliation. Ce qui est renversant dans le message évangélique c’est que le Salut nous arrive par les plus vulnérables : le pauvre et le plus petit deviennent le salut des forts. Nous avons l’exemple de Joseph vendu par ses frères, esclave en Egypte, il devient le sauveur de toute la famille.

La vulnérabilité est encore une alerte donnée aux puissants de ce monde : « A quoi te servirait de gagner le monde entier si c’est au prix du salut de ton âme » (Matthieu 16,26), nous prévient Jésus. « Celui qui veut être le plus grand qu’il se fasse le serviteur de tous » (Marc 10,43). Jésus a donné l’exemple du serviteur aux pieds de ses disciples. L’évangile nous donne le témoignage de tous ceux qui ont ému le cœur de Jésus jusque sur la croix : Lui qui a pris sur lui nos péchés et s’est chargé de nos infirmités et de nos vulnérabilités jusqu’à s’identifier aux personnes vulnérables : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25,40).

Pour vaincre les nombreuses et profondes peurs qui assaillent ses disciples, Jésus ne les laisse pas dans l’incertitude, il leur répond, et cela nous concerne : « Vous qui croyez en Dieu, croyez aussi en moi… Mon départ n’est pas définitif, je reviendrai vous prendre avec moi, auprès de moi ». Cette affirmation n’a pas convaincu les disciples, d’où les questions de Thomas et de Philippe. Malgré l’insistance de Jésus à les rassurer sur sa proximité et la bienveillance du Père pour eux, cette réalité leur échappe. Après la résurrection, il faudra l’expérience sensible du voir et du toucher de Dieu en l’humanité de Jésus pour croire, et redonner la paix du Ressuscité et la joie de sa présence. A Pâques, la certitude de l’amour et de la fidélité de Dieu fera prise sur les Apôtres, y compris sur Saint Thomas qui en sera bouleversé. En effet, dans l’Évangile de Jean, Thomas représente le passage de l’incrédulité à la confession de foi comme expérience d’amour et d’adoration. « Honneur à vous qui avez la foi », nous dit Saint Pierre.

Ce soir, ce soir de la Cène, Thomas déconcerté demande à Jésus : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin » ? Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu ». (Jean 14, 5-7). La réponse que Jésus donne à Thomas lui fera comprendre, plus tard, quel est ce Chemin. Thomas, pour le moment, ne comprend pas, il comprendra lorsqu’il verra face à face Jésus Ressuscité, il portera la main dans les plaies divines du Crucifié et verra quel est ce Chemin, ce Chemin qui conduit au cœur de Dieu transpercé. La réponse de Jésus à Thomas est avant tout ce : « Je Suis », le nom que Dieu donne en se révélant à Moïse. C’est ainsi que Jésus parle de lui-même. Il dit : « Je Suis », de manière absolue. Comme il s’était déjà défini : « Je suis le pain descendu du ciel pour vous nourrir » (Jean 6,51). « Je suis le pasteur » pour vous conduire (cf Jean 10,11). « Je suis la porte » pour vous accueillir et vous protéger. (cf Jean 10,9). Aujourd’hui, il répond ouvertement à Thomas : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », et à Philippe : « Je suis dans le Père et le Père est en moi ».

Le Seigneur veut nous faire comprendre que le cœur humain doit être habité de sa présence, car le cœur a horreur du vide, il est forcément la proie de quelque chose ou de quelqu’un. Seul le Christ est le Chemin qui conduit à la réalisation des désirs les plus profonds du cœur de l’homme, et le Christ ne nous sauve pas en dépit de notre humanité, mais à travers elle, en assumant notre vulnérabilité, notre condition mortelle. Lui qui nous étreint par les bras de sa croix, nous nourrit de son Eucharistie, nous pardonne dans son sang, par la confession de nos péchés, et nous ouvre le cœur du Père. Pendant la dernière Cène, Jésus fait comprendre aux disciples qu’ils ne doivent pas se laisser troubler par le fait qu’Il s’en va et qu’Il s’en va en mourant comme un condamné à mort, vivre la vulnérabilité jusqu’à la mort. C’est justement en s’en allant ainsi qu’Il devient le Chemin, la Vérité, la Vie, et donne un sens à notre pèlerinage sur terre.

Jésus est le chemin de l’amour accompli, le chemin du lavement des pieds, le chemin de la bouchée donnée à Judas, le chemin du don, le chemin du pardon, l’unique Chemin, celui de l’Amour qui nous fait être avec lui et comme lui. Jésus nous a révélé le vrai visage du Père comme Amour, Liberté, Vérité, et notre vérité est la vérité même de Dieu qui est Père et nous aime infiniment jusqu’à donner son Fils. Cela nous fait comprendre notre dignité infinie, « Jésus est à la fois la Vérité de Dieu et celle de l’homme » dira Jean-Paul II.

Notre départ vers la maison du Père « nous appelle à sortir des ténèbres pour entrer dans son admirable lumière », selon l’exhortation de Saint Pierre. Telle est aussi l’aspiration du psalmiste : « J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour admirer le Seigneur dans sa beauté et m’attacher à son Temple ». (Psaume 26, 4)

Et en ce beau mois de mai, recommandons à Marie, Mère de Dieu et notre mère, et humble servante du Seigneur, toutes les personnes qui sont en situation de vulnérabilité et de détresse. Oui, comme dit le psalmiste : « Le Seigneur veille sur ceux qui le craignent ». (Psaume 32). Amen.