21ème Dimanche du Temps Ordinaire (A)

23 août 2020

  • Frère Jean François	CROIZÉ Frère Jean François CROIZÉ

Introduction : Soyez les bienvenus vous qui venez célébrer le Seigneur.

Bienvenue aux cheftaines qui viennent pour une semaine de formation. C’est très beau de pouvoir prendre une semaine comme ça, de donner une semaine pour accompagner des jeunes ensuite dans vos différents camps, services, merci à vous !

Le Seigneur, aujourd’hui, lorsque nous venons d’entendre ce chant d’entrée, éveille notre cœur à une écoute, une écoute pour entendre une voix, cette voix c’est celle de l’Esprit-Saint qui parle à notre cœur. Eh bien, demandons au Seigneur cette écoute intérieure pour pouvoir l’entendre, et en l’entendant, le comprendre pour mieux le servir. Demandons cette grâce au Seigneur, de cette écoute intérieure. Pour favoriser cette écoute, eh bien, déposons notre cœur dans le sien avec tout ce qui l’habite : de difficultés, de problèmes, de péchés et même de joies.

Eh bien, entrons dans cette célébration de l’Eucharistie en nous reconnaissant pécheurs.

 

Homélie : Chers Frères et Sœurs, peut-être avez-vous été surpris de cette demande de Jésus à ses disciples, « Qui est-il ? », et de la conclusion de l’évangile où il nous demande de ne dire à personne qui il est. Evidemment il faudra attendre la Pentecôte pour que les choses s’éclairent mais en attendant pour nous, la question nous est aussi adressée : « Qui es-t-il le Christ ? ».

Cette question est toujours actuelle, incontournable, bien sûr, elle est adressée aussi au monde, aux disciples d’aujourd’hui, c’est-à-dire à nous. Et nous pouvons faire nôtre cette réflexion d’un dominicain du XIVème siècle, Jean Bromyard, dans son « breviloquium » où il se pose aussi la question, il dit ceci : « C’est vraiment un phénomène étrange et douloureux :

Hippocrate, c’est un grec du IIIème siècle avant Jésus-Christ, le plus grand médecin de l’époque : Hippocrate parle de ce qui concerne le corps et il a beaucoup d’auditeurs qui le croient, et d’ailleurs il était très couru à l’époque, surtout en période d’épidémie, il était très demandé.

Justinien, c’est un empereur byzantin du Vème siècle, qui a écrit un code de droit, -d’ailleurs c’est lui qui a construit la Basilique Sainte Sophie qui est devenue maintenant une mosquée,- et Justinien parle (de la chose) de la justice terrestre, il a beaucoup d’auditeurs assidus qui le croient.

L’artisan parle de son art et trouve des auditeurs, et les auditeurs croient à ceux dont l’œuvre leur est nécessaire.

L’imposteur parle, la vieille entremetteuse parle, le médisant parle, la voyante parle, enfin tout le monde parle de choses, tous ont de nombreux auditeurs qui les croient.

Le Christ, Lui, le Christ, l’artisan le plus digne de confiance dans l’art de l’âme, il parle du salut de l’âme et de la justice du ciel. Le Christ parle comme un pauvre et par la bouche du pauvre, et tout le monde dit : « Qui est-il, celui-là ? » ».

Hélas, en notre 21ème siècle, entre mirages et naufrages, Dieu est-il encore perçu ? Les médias, certes, parlent, ils ont des millions d’auditeurs, le monde du spectacle et du sport parle et joue, ils ont des millions de spectateurs et de supporters. Notre monde se pose-t-il encore cette question : « Qui est-il Celui-là » ? en parlant du Christ. L’Évangile précisément nous fait réentendre cette question : « Pour vous, qui suis-je ? ». Se confronter à cette réalité, et redécouvrir sous la lettre des Écritures les traits du visage de Jésus, c’est ce que nous propose la Parole de Dieu de ce dimanche.

En ce qui concerne le monde, dans le meilleur des cas, les gens répondent que le Messie est un prophète, voix de Dieu et son souffle. Il s’agit d’une belle réponse mais elle est fausse, surtout parce que Jésus ne peut pas être réduit à l’une des personnalités religieuses qui ont dit ou fait des choses extraordinaires. Jésus a apporté au monde pas seulement un message intéressant, profond et vrai, il a aussi apporté au monde Dieu même, Dieu lui-même.

Au nom des disciples, Pierre répond : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Donc il souligne ce qui n’est qu’une étrange « prétention » pour beaucoup de monde : le Christ n’est pas seulement un personnage historique important qui est vrai, mais il est aussi Vivant. Le problème donc n’est pas tant celui de le connaître comme une théorie du passé, même si elle est encore actuelle, mais de le rencontrer, Lui, la Vie vraie qui donne Vie aujourd’hui comme hier : toujours.

Nous, aujourd’hui, nous sommes dans le socle de la réponse de Pierre, nous sommes appelés à répondre que le Christ a non seulement existé et qu’il est vrai, mais qu’il est aussi connaissable et « rencontrable ». Il est vivant et présent, il est le Dieu de la fleur vivante et non des mortes pensées.

Nous avons deux façons ici dans l’évangile de connaître le Christ.

La première façon de le connaître est celle d’une connaissance externe, -vous savez ça ne coûte rien, on dit ce que tout le monde pense-, caractérisée par l’opinion publique, par la réduction du Messie à un grand personnage tels que l’ont été les prophètes ou les grands Sages. En effet, à la question de Jésus, « Le Fils de l’homme, qui est-il, d’après ce que disent les hommes ? » Les disciples répondirent : « Pour les uns, Jean-Baptiste ; pour d’autres, Elie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » c’est-à-dire les personnages très en vue de l’époque, très connus, qui ont un certain renom. Cela signifie que le Christ est considéré comme un personnage religieux parmi les autres, éventuellement le plus grand, mais semblable à ceux qui sont déjà connus. On ne se mouille pas.

La deuxième façon de connaître Jésus est celle de la connaissance qui vient de l’expérience de la communion. Communion ce n’est pas comme une union, c’est « communus », c’est-à-dire porter ensemble les joies et les peines. En effet, en s’adressant personnellement aux disciples qui sont depuis très longtemps avec lui, Jésus demande : « Et vous, que dites vous, pour vous qui suis-je ? ». Il a passé quand même presque 3 ans avec eux, les disciples l’ont vu un peu sous tous ses aspects, ils auraient pu se faire un peu une idée, quoi, mais enfin à dire que Jésus est le Fils de Dieu c’est autre chose, il faut attendre la Pentecôte.

C’est à partir de la vie avec le Christ, à partir de l’expérience de communion avec Jésus, que Pierre donne sa réponse, en faisant la première confession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant ! ». Cette profession de foi est aussi faite au nom des autres disciples. Normalement c’est ce qu’on fait, c’est ce que font les parents au baptême pour nous, c’est ce qu’on fait à la profession de foi, mais il nous faut du temps pour entrer dans ce mystère.

La foi va au-delà des simples données empiriques ou historiques, et elle est capable de saisir le mystère dans la personne du Christ, dans sa profondeur. La foi naît de la rencontre et elle grandit dans le renouvellement quotidien de cette rencontre entre le Christ, Pierre et les autres disciples, c’est-à-dire nous aussi, enfants de Dieu et de l’Église.

Le passage d’évangile d’aujourd’hui ne parle pas seulement du Christ et de Pierre, mais aussi de l’Église. Il nous dit avant tout que l’Église appartient au Christ lorsque Jésus dit : « Mon Église », et il en remarque la stabilité perpétuelle : l’Église est comme une maison bâtie sur le rocher, même s’il semble qu’elle repose sur la fragilité des hommes, et Jésus dit : « Et la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle ». Il s’agit d’une stabilité éprouvée, mais sûre. Elle est éprouvée car la clef dont le Christ parle et qu’il donne à Pierre, est celle de la croix. Elle est sûre car elle est bâtie sue le roc d’une foi solide et d’un amour sans faille.

Pierre est ce roc dans la mesure où il transmet encore le Christ, trésor pour l’humanité entière. Il est le roc dans la mesure où il montre que Dieu est vivant parmi nous. Il est le roc car il nous appelle à participer à son amour crucifié, désarmé, constant, éternel. « Et vous, que dites-vous ? Pour vous qui suis-je ? », demanda Jésus aux disciples, et Pierre dit seulement : « Dieu », c’est ça, sa réponse : « Dieu ». Le Christ n’est pas seulement ce que Pierre affirmait de Lui, mais ce dont il vivait : « Seigneur, tu as les Paroles de la vie éternelle ».

Avant d’être une doctrine et une morale, le christianisme est une PERSONNE qui nous aime et qu’il faut aimer. L’amour de Dieu a écrit son récit sur le corps du Christ, avec l’alphabet de blessures ineffaçables comme l’amour.

Les deux images, le rocher et les clés, auxquelles Jésus a recours, sont en elles-mêmes très claires : Pierre sera ce fondement rocheux sur lequel reposera la construction de l’Église. Pierre aura les clés du royaume des cieux pour l’ouvrir ou le fermer à celui à qui il lui paraîtra juste de le faire en vérité et charité. Enfin, il pourra lier ou délier, ce qui veut dire qu’il pourra établir ou interdire ce qu’il croira nécessaire de faire ou de ne pas faire pour la vie de l’Église, qui est et reste du Christ. Il s’agit toujours de l’Église du Christ et non de Pierre.

Ces deux images, le roc et la croix, parlent de foi et de confiance : de la foi de Pierre et de la confiance de Jésus. La pierre ou le rocher met en évidence la stabilité de croire comme ce mot : « Amen », que nous répétons tout le temps et qui signifie justement : « Tenir fermement », c’est solide.

Et c’est le roc qui solidifie la maison. Et c’est bien à ce roc à qui est donnée une pleine autorité : « à lui seulement sont confiées les clés » pour interdire ou permettre, pour séparer et pardonner. En tous cas il ne faut pas oublier que l’autorité de Pierre est une autorité « vicaire », c’est-à-dire que Pierre est l’image d’un Autre, du Christ qui est le vrai Maître de l’Église.

La foi qui émerge de ces mots, « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », si c’était pour la chair et le sang, Pierre n’aurait pu voir en Jésus « qu’un prophète ». Vis-à-vis de Jésus, « la pensée selon les hommes » ne suffit pas, pour autant qu’elle puisse être subtile et intelligente : en effet, «  Il a plu à Dieu de cacher ces choses aux sages et au savants et de les révéler aux tout-petits », (Matthieu 11, 25), il faut rester humble devant le mystère.

De ce fait, à partir du moment où Pierre professe le fondement de la foi au nom de l’Église entière, il est le plus petit parmi les plus petits de ses frères, « le serviteur des serviteurs », comme disent les Papes. Mais il aime le Christ plus que tous les autres, pour cela et seulement pour cela, il est devenu le premier : « Pierre, m’aimes-tu ? Pais mon troupeau », (Jean 21,15), sommet irremplaçable de communion. Il ne s’agit pas d’un pieux exercice d’humilité, mais de la vérité faite à une personne et aimée de Dieu.

Et c’est sur Pierre (qu’il) qui l’aimait plus que tous les autres, sur ce stable roc d’amour que Jésus édifie son Église ; la puissance de la mort ne l’a pas emportée sur elle, ni ne l’emportera.

Le poids de la gloire du Premier des Apôtres, comme celui de ses successeurs, naît du signe divin gravé dans son cœur et dans sa tête.

Pierre devra protéger la Vérité et la Communion acceptant tous les jours la remise des clés : la croix qui a ouvert les portes du Paradis est la clé grâce à laquelle le Seigneur a ouvert le ciel et fermé l’enfer. La Croix est la crosse de Pierre, de ses successeurs, qui peuvent paître les fidèles, car ils sont les premiers dans l’amour ; premiers en un amour humble et doux qui libère les hommes de l’esclavage du monde, de la chair et du démon, et les relie au Christ dans une fraternité éternelle qui les rend à jamais fils du Père céleste.

Pour terminer, non seulement Pierre, mais en lui et avec lui toute l’Église s’écrie : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». C’est ce qu’on redira dans le Credo. Depuis ce jour, Pierre et l’Église annonce la foi au monde, toujours prêts comme Jésus à la recherche de chaque brebis égarée, comme le Pape François nous le rappelle souvent.

Mais il faut garder à l’esprit, outre la présence de Pierre, il y a aussi la présence de Marie dans l’Église. Marie, dans le cœur de l’Église, demeure comme une présence réelle qui oriente notre regard et notre cœur vers son Fils crucifié ainsi qu’elle nous le montre à Pontmain.

Alors, soyons dans l’action de grâce d’avoir cette révélation de l’Esprit-Saint en nous qui nous rend capables d’avoir les yeux du cœur pour discerner dans le Christ, le Fils de Dieu. Amen.