29e DIMANCHE du Temps Ordinaire (B)

17 octobre 2021

  • Frère Marie-Jean BONNET Frère Marie-Jean BONNET

Introduction : Nous sommes heureux d’accueillir, ce matin, des couples du diocèse d’Angers, engagés dans la pastorale de la préparation au mariage. Alors, prions pour eux, pour leur ministère, ce grand service si précieux, si actuel, de soigner la préparation au mariage. Ils sont accompagnés des deux diacres, qui sont avec nous.
« Que ton règne vienne » Oui, c’est notre cri, à chaque fois que nous prions le Notre Père. Et nous savons bien que cela veut dire d’abord : « que Ton règne vienne en moi, dans mon cœur, que je fasse Ta volonté. » Car le Seigneur veut faire advenir son règne, d’abord par ses enfants, par ceux qui ont reçu la grâce de la Foi et qui font venir, s’ouvrent au règne de Dieu dans leur vie.
Alors demandons d’abord la miséricorde, car nous savons bien toutes nos résistances à ce règne de Dieu sur nous, à ce règne de Dieu dans nos vies. Demandons son pardon.

Homélie : J’espère que vous êtes bien assis. J’aimerais m’arrêter surtout sur la première lecture. D’une part, parce qu’elle présente une certaine difficulté, et puis parce qu’elle est plus actuelle qu’on ne pourrait penser à première vue. C’est Marie-Noëlle Thabut d’ailleurs, que vous connaissez certainement de nom, qui m’a mis sur cette piste, que je trouve intéressante.
Cette lecture, tirée du livre d’Isaïe, nous l’entendons chaque année dans la liturgie du Vendredi Saint. Elle appartient à ce que l’on appelle le 4ème chant du Serviteur, au second livre d’Isaïe, c’est-à-dire, un auteur qui a vécu au VIème siècle environ avant le Christ. La Tradition, -comme je l’évoquais-, Chrétienne y a reconnu, avec raison, l’annonce prophétique du Christ, en tant que Serviteur souffrant et en même temps victorieux parce que Sauveur.
Cette lecture est juste, mais elle n’est pas unique, ni première, car l’auteur biblique, justement du VIème siècle, s’adresse d’abord à ses contemporains. Et le contexte est celui de l’exil à Babylone, donc un contexte d’humiliation et d’oppression. Et Dieu sait si notre monde d’aujourd’hui, dans bien des pays, vit aussi ce même contexte. Ça se voit plus ou moins. Parfois c’est sournois, mais c’est là aussi.
Le Serviteur du Seigneur, c’est d’abord Israël, comme peuple. Et justement, dans ce même livre, on trouve cette expression : « Toi, Israël, mon serviteur. » Et Marie, dans son Magnificat y fait encore écho : « Le Seigneur relève Israël, son serviteur. »
Et ce Serviteur, nous dit l’auteur, est « broyé par la souffrance », parce que le peuple d’Israël a tout perdu et peut se sentir abandonné de Dieu. Et plus proche de nous, dans cette terrible épreuve aussi de la persécution des Juifs, pendant la Seconde Guerre Mondiale, et à la Shoah, ce même peuple a pu se sentir abandonné de Dieu. Epreuve de Foi.
Alors, le prophète vient lui redonner des raisons de vivre et d’espérer, et son message tient en trois points en quelque sorte: premièrement, dans votre épreuve, votre souffrance, le Seigneur est avec vous ; deuxièmement, cette épreuve, elle a une issue possible ; et troisièmement, cette épreuve, elle a une fécondité possible.
D’abord, le Seigneur est avec vous. Il est proche de vous. C’est le sens de cette parole : « broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. » Alors, comme le souligne Marie-Noëlle Thabut, l’horrible contre-sens, à ne pas faire, serait de comprendre que Dieu prend plaisir à la souffrance d’un homme, fut-ce le Christ. Non. Le Père ne peut pas prendre plaisir à la souffrance de son Fils, non plus d’aucun de ses enfants. Malheureusement, certaines Bibles, que j’ai consultées, prêtent le flanc à cette interprétation, je dirais, blasphématoire.
Tout au contraire, lorsque son serviteur est broyé par la souffrance, lorsqu’un de ses enfants est broyé par la souffrance, Dieu se penche sur lui avec un amour de prédilection. Et voilà pourquoi l’Église aussi a à se pencher avec prédilection, en ces temps-ci, sur tous ses enfants blessés, blessés par les membres de l’Église, hélas.
Elle a à vivre ce que Dieu fait, ce que Dieu vit. Dieu avait entendu, vous vous rappelez bien, le cri de son peuple, esclave en Egypte, comme il l’avait dit à Moïse. Et 700 ans plus tard, le second Isaïe ne dit pas autre chose. Le Dieu de miséricorde se penche sur toute souffrance. C’est bien le sens de ce mot « miséricorde », comme on nous l’a rappelé abondamment, à juste titre, il y a quelques années, pendant cette année de la miséricorde. C’est le cœur attiré par la misère. Tel est le cœur de Dieu, toujours attiré par notre misère.
Ainsi le message du prophète est de dire aux exilés : « dans votre souffrance, Dieu n’est pas contre vous. Ce n’est pas Dieu qui vous a châtiés. Il n’est pas du côté de ceux qui vous humilient. Il est près de vous. Il se penche sur vous avec prédilection. Il ne vous oublie pas. Il œuvre pour votre libération. »
Attention à ces paroles que l’on entend parfois, hélas, dans l’Église : « Dieu nous châtie. Tout ce qui nous arrive, c’est des châtiments de Dieu. » Non, non et non ! Dieu ne veut que le bien de l’homme. Dieu ne peut pas châtier. S’il y a châtiments, ce sont les hommes qui les produisent. Jamais Dieu ! Bien sûr, ces châtiments, ils arrivent quand l’homme s’éloigne de Dieu, quand l’homme refuse Dieu. Ben oui, qu’est-ce qu’ils génèrent ? Le mal, la guerre, l’oppression, la violence sous toutes ses formes. Nous le savons bien. Attention à ne pas faire porter sur Dieu le mal. C’est un blasphème.
Et sous-entendu, le message que continue le prophète, est de dire : « puisque Dieu est toujours de votre côté, Dieu est toujours pour vous, pour votre bien, c’est en lui, c’est dans la foi et la prière que vous trouverez soutien et réconfort. » « Puisez votre énergie dans le Seigneur », dira Saint Paul aussi aux premiers chrétiens éprouvés (d’Éphèse), eux aussi par un contexte de persécution.
Deuxième message de ce prophète aux exilés, votre épreuve, elle a une issue, vous n’êtes pas définitivement enfermés dans l’oppression, gardez confiance. « A cause de ses souffrances, » dit l’auteur, en effet, « le serviteur verra la lumière, il sera comblé. » Au sein même de la souffrance, justement parce que Dieu est au cœur de cette souffrance, avec nous, avec l’enfant qui souffre, il y a toujours un chemin, une ouverture, une issue possible vers la lumière.
Dans la souffrance, et spécialement celle infligée par les hommes, on peut réagir par le durcissement et la fermeture. C’est la réaction de la nature blessée, qui est presque naturelle. (Œil pour œil, dent pour dent). Hélas, nous savons bien que nous ne sommes pas débarrassés de ce réflexe trop naturel, mais cela, nous le savons bien aussi, de choisir ce chemin, pèse très lourd dans le cœur, ne résout rien et ne nous rend surtout pas heureux. Ça peut soulager un moment, mais ça ne rend pas heureux, et cela multiplie le mal dans le monde. Le mal gagne deux fois, lorsque nous rendons le mal pour le mal.
Mais on peut aussi, non pas sans la grâce de Dieu, bien sûr, choisir,effectivement, de ne pas rendre le mal pour le mal, d’essayer, et d’être « vainqueur du mal par le bien », comme le dit Saint Paul.
Ce chemin de libération de l’emprise, de l’engrenage, du piège du mal, de l’enfermement dans le mal, c’est le chemin que nous trace le Christ en croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Aujourd’hui, comme hier, ils existent ces hommes, ces femmes, ces enfants qui, frappés par la maladie ou la violence, sont -ô parfois cela demande un long chemin certes, mais c’est possible avec la grâce de Dieu,- sont, deviennent des témoins d’une ouverture à l’espérance et à l’amour.
Troisième message d’Isaïe : l’épreuve que vous vivez, elle a une fécondité possible : « Par lui, [le Serviteur], s’accomplira la volonté de Dieu. » Cette volonté de Dieu, encore une fois, c’est de sauver. Il ne fait que ça. C’est son travail, son boulot : Sauveur. Il ne fait que ça. Cette volonté de sauver, de libérer de toutes ses chaines l’humanité ; et la pire de nos chaines, c’est la haine, nous le savons bien, la violence, qui rongent notre cœur. Dieu disait déjà, au seuil de l’humanité, à Caïn, qui était tombé dans ce piège de la jalousie qui l’a conduit au meurtre : « la haine tapie à ta porte cherche à te dominer, mais tu dois la dominer. » (Genèse 4, 7)
Cette volonté de Dieu de sauver l’humanité, se réalise, bien sûr radicalement, par le seul Christ, mais Il veut s’associer ses serviteurs. C’est ce que veut dire Isaïe, ici, aux exilés : « si le serviteur fait de sa vie un sacrifice de réparation, une offrande de réparation […], par lui s’accomplira la volonté du Seigneur. »
Et nous rejoignons justement notre deuxième lecture, c’est le Christ, bien sûr, qui est le Serviteur parfait par excellence : « En toutes choses, Il a connu l’épreuve comme nous, » dit l’auteur. Oui, Il sait ce que c’est la souffrance, mais « Il n’a pas péché. » Il est resté ce Serviteur dans l’espérance et dans l’amour jusqu’au bout, nous dit la lettre aux Hébreux.
Il est le Serviteur parfaitement fidèle, qui a apporté à notre monde, enfermé dans le mal et la mort, une issue, par l’amour plus fort que la haine et l’ouverture à une vie éternelle. Et parce qu’Il a fait de sa vie une offrande d’amour qui répare le péché des hommes, son offrande est infiniment féconde. Elevé sur la croix, le Christ attire à Lui, peu à peu, toute l’humanité.
Oui, je le crois. Il faut le confesser. C’est le Christ qui nous le dit : « j’attirerai à moi tous les hommes. » Mais, quand on croit ces paroles, quelle espérance ! Quelle force ! Si on y croit vraiment. « Une fois élevé de terre, élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » On y croit ou pas ?
Ce chemin de Serviteur, de Serviteur qui accepte de traverser la souffrance pour la transformer de l’intérieur, qu’a choisi le Christ, il n’y en a pas d’autre pour celui qui veut être son disciple. C’est le message que Jésus donne à ses Apôtres : « les grands font sentir leur pouvoir, parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. » Bien au contraire, vous aussi, à ma suite, soyez serviteurs.
Demandons la grâce, ce matin, les uns pour les autres, nous qui sommes éprouvés aussi, certainement, de bien des manières, de choisir de vivre en serviteurs du Seigneur, serviteurs de nos frères, de faire de notre quotidien, de notre ordinaire, une offrande, toute simple.
On peut offrir, comme nous entendions au réfectoire, -chez nous, nous avons la lecture souvent pendant les repas,- nous entendions une biographie sur Laurent de la Résurrection, qui commence à être un peu connu. Un frère capucin du 17ème siècle, et qui, précurseur de Thérèse de Lisieux, avait compris que Dieu est dans les marmites aussi, puisqu’il était cuisinier aussi un certain temps. Dieu est dans les marmites ou dans les sandales, puisqu’il est devenu cordonnier.
Sachons faire de notre vie toute simple et ordinaire, dans les joies et dans les peines, une offrande unie à celle du Christ. Alors, nous devenons, nous aussi, instruments, coopérateurs du Salut, de la libération des hommes. Amen.