2e DIMANCHE DE CARÊME (B) 2024

25 février 2024

  • Frère Marie-Jean BONNET Frère Marie-Jean BONNET

INTRODUCTION : PÈRE MARIE-JEAN

Nous sommes heureux d’accueillir une équipe Notre Dame du Mans en récollection pendant ce week-end, et puis des membres du pèlerinage du Rosaire qui préparent ce pèlerinage à l’intention des jeunes.

En ce deuxième dimanche du Carême, se présente à nos yeux le Christ déjà resplendissant de gloire, de lumière, pour nous encourager sur cette route, et nous venons de chanter les promesses qu’Il nous fait :

  • « Ceux qui te cherchent, ceux qui te trouvent, ceux qui te suivent Seigneur tu les conduis, tu leur promets la vie éternelle, tu les nourris de ta Parole ».

Hé bien, à l’exemple de Pierre, Jacques et Jean suivons le Christ, laissons-nous conduire par Lui dans la montagne intérieure pour découvrir combien il est bon d’être avec Lui, de rester avec Lui, de nous laisser enseigner, illuminer par sa Parole qui nous réconforte, qui nous soigne, qui nous fortifie.

Préparons-nous, frères et sœurs, à célébrer ce mystère de l’Eucharistie en reconnaissant que nous avons péché.

HOMÉLIE : PÈRE MARIE- JEAN

Je ne parlerai pas de la Transfiguration, bien que ce soit effectivement la note assez caractéristique de ce deuxième dimanche du Carême. Je voudrais m’arrêter sur la première lecture qui est difficile.

Elle est tirée du livre de la Genèse donc, et elle est le type même du texte biblique qui peut être interprété à contresens. De fait, en lisant ce récit du sacrifice d’Abraham, nous sommes probablement heurtés, nous avons été heurtés, en tous cas, bien des fois en l’écoutant. Dieu nous y apparait certes comme un souverain arbitraire et sadique même, qui se plait à éprouver l’homme, puis à le récompenser ou le punir selon son obéissance ou non. C’est une lecture que l’on peut qualifier de fondamentaliste et de païenne, et je reprends les mots de païennes, parce qu’elle correspond à une image de la divinité de fait la plus courante chez les peuples païens. C’est de l’arbitraire qu’il s’agit d’amadouer pour se les mettre, j’allais dire, dans la poche. Lecture païenne, oui je reprends l’expression de Marie-Noëlle Thabut, que beaucoup d’entre vous connaissent certainement, bibliste, connue des lecteurs de Magnificat entre autres, et reconnue pour son sérieux. Voilà, donc je pense qu’on peut lui faire confiance. Et elle nous ouvre à une lecture toute différente de cette lecture fondamentaliste et païenne, et je m’appuie donc sur ses commentaires.

Elle fait remarquer d’abord que, ce récit du sacrifice d’Abraham qu’on appelle ,soit sacrifice d’Abraham, soit sacrifice d’Isaac, a été écrit vers l’an 800 avant Jésus Christ, donc environ 1000 ans après l’existence d’Abraham, ce qui veut dire qu’il ne faut pas le lire comme un récit historique au sens moderne, mais comme un récit à visée d’enseignement et d’exhortation. Enseignement sur le vrai visage de Dieu et ce qu’Il attend de l’homme, exhortation à imiter la foi d’Abraham, comme le fera également beaucoup plus tard la lettre aux Hébreux, qui reparle précisément de ce sacrifice d’Abraham, et aussi de tous ces actes de foi qu’il a posés, et tous les patriarches aussi, et de nombreux croyants de la première alliance.

A l’époque d’Abraham les sacrifices humains sont monnaie courante, et spécialement dans la religion cananéenne, justement dans ce pays où s’installe, là où s’est installé le peuple d’Israël. Et la contamination dans le peuple d’Israël a été telle que 1000 ans plus tard, hé bien certains en Israël sont encore tentés d’y recourir, et soit dit en passant, n’allons pas trop vite les regarder de haut, parce qu’il m’est arrivé d’entendre que certains chrétiens, dans des situations d’épreuves, de souffrances, d’angoisse, oui sans doute très éprouvantes, sont capables d’aller recourir à des voyants. Bon, donc ce n’est pas seulement d’hier ce genre de pratique. Et c’est d’ailleurs, recourir à des sacrifices humains, c’est ce que fera le roi Achaz lui-même, roi de Juda, dans ce huitième siècle, roi de Juda de 736 à 716, en immolant son fils par le feu à des divinités païennes, dans une situation qui l’angoisse, et pour sauver son royaume. Donc, ce récit sait de quoi il parle, ce n’est pas de la théorie.

Le récit de la Genèse veut donc réaffirmer avec force que la mort d’un être humain ne peut en aucun cas honorer Celui qui est le Vivant, et qui n’est source que de vie, et qui ne veut que la vie. « Dieu n’a pas fait la mort », dira le Livre de la Sagesse 50 ans avant Jésus Christ. Plusieurs siècles plus tard certes, mais déjà au VIIIème siècle, et sans doute avant, il est plus que temps d’affirmer, de réaffirmer cela. Les prophètes et les psaumes justement réaffirmeront bien souvent cette vérité essentielle que Dieu ne veut que la vie, mais on lui fait dire tant de choses au Bon Dieu, y compris dans la Bible.

Le psaume, 115 par exemple, que nous avons entendu tout à l’heure, « Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens », psaume qui est écrit, comme beaucoup de psaumes, probablement au temps de l’exil. Et le Seigneur par la bouche d’Ezéchiel à cette même époque de l’exil déclare :

  • « Est-ce donc la mort du méchant que je désire ? N’est-ce pas plutôt qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive ? »

Si les prophètes d’Israël devront longtemps corriger les fausses images de Dieu que l’homme ne cesse de se fabriquer dans toutes les civilisations, et jusqu’à nos jours et jusqu’à maintenant, peut-être qu’il y a des traces de fausses images de Dieu qui trainent dans nos têtes à nous aussi ? Si les prophètes devront longtemps corriger les fausses images de Dieu, il leur faudra aussi durant des siècles faire découvrir au peuple que le culte véritable que Dieu attend de l’homme ce n’est pas non plus les sacrifices d’animaux et les offrandes matérielles, mais l’offrande de sa foi, de sa confiance en Dieu quoi qu’il arrive, ce qu’a fait Abraham, ce qui nous est donné en exemple dans ce récit, l’offrande de sa foi et par la suite l’offrande de l’homme lui-même à Dieu, pour L’aimer de tout son cœur, accomplir amoureusement sa volonté et aimer son prochain comme soi-même. « Tu aimeras » voilà tous les commandements de Dieu nous le savons :

  • « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même ».

Voilà le sacrifice que le Seigneur attend de nous depuis toujours et pour toujours. Mais, que l’homme a du mal à comprendre Dieu !

Au VIIIème siècle avant le Christ, donc à cette même époque, à l’époque justement où est rédigé ce récit du sacrifice d’Abraham, le prophète Michée déclare à un croyant qui, justement se pose la question :

  • « Mais qu’est-ce que je dois faire pour plaire à Dieu, est-ce qu’il faut que j’offre mon fils ? ».

Voyez comme quoi ça traine dans les têtes, hé bien Michée répond de la part de Dieu :

  • « Mais on t’a fait savoir, homme, ce qui est bien »

On t’a fait savoir, ça prouve que c’est déjà depuis longtemps que les prophètes et les guides d’Israël essaient de marteler ça au peuple, le Seigneur en a abomination de ces sacrifices humains :

  • « On t’a fait savoir, homme, ce qui est bien ce que le Seigneur réclame de toi, rien d’autre que pratiquer la justice, aimer avec miséricorde, et marcher humblement avec ton Dieu ».

Le Christ bien sûr, par excellence, a fait de toute sa vie un sacrifice, une offrande de soi, libre et aimante à toute la volonté du Père.

En entrant dans le monde nous dit la lettre aux Hébreux, le Christ dit :

  • « Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation, mais tu m’as façonné un corps. Alors j’ai dit voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté ».

Et St Paul à son tour, méditant la vie du Christ, nous enseigne quel est le culte véritable :

  • « Je vous exhorte mes frères, dit-il dans la lettre aux Romains, par la miséricorde de Dieu, en raison de cet amour fou de Dieu, qui a été jusqu’à se donner tout entier, se livrer, je vous exhorte, en raison de cette miséricorde de Dieu, à Lui offrir en retour votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu. C’est là pour vous l’adoration véritable ».

Tel est bien le but de notre chemin de Carême. Si l’Église nous appelle à vivre davantage la prière, le jeûne et le partage, dont les modalités sont multiples, rappelons-le, je ne m’arrêterai pas ici sur ces modalités, mais nous savons bien qu’il y a tant de jeûnes possibles et profitables, oui, et de partages aussi, partager son temps avec ses proches. Nous avons peut-être à vérifier comment nous vivons ces pratiques,  prières, jeûnes et partages. Est-ce que nous les vivons comme des cases qu’il faut cocher ? Et je reprends l’expression de notre frère Omer qui le citait cette semaine :

  • « Bon, j’ai fait ma prière, je me suis privé de ceci, j’ai partagé cela, je suis en règle ».

Est-ce que nous les vivons comme des cases qu’il faut cocher ou, est-ce que nous accueillons ces pratiques, nous les recevons avec foi justement, avec confiance, avec foi de l’Église, et du Christ par son Église ? Est-ce que nous les accueillons comme un chemin de libération intérieure, libération de notre égoïsme, pour nous mettre à la disposition de l’Esprit Saint et au service de nos frères ? AMEN.