31e DIMANCHE Du Temps Ordinaire (B)

31 octobre 2021

  • Frère Jean François	CROIZÉ Frère Jean François CROIZÉ

Introduction : Chers frères et sœurs, dans cette invitation, je viens de dire « l’Amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit Saint, et sur la grâce de Jésus ». Et tout ça, ça nous enveloppe car nous avons du prix aux yeux de Dieu. Le tout, c’est de s’ouvrir à cet amour. Et on s’ouvre de cet amour à Dieu par l’amour de nos frères.
Et nous avons la joie d’accueillir le mouvement, les personnes de Foi et Lumière accompagnées par René dont le thème est « Préparation de Lourdes » pour les 50 ans de Foi et Lumière. Magnifique. Nous accueillons aussi des cheftaines qui viennent pour une semaine de camp de formation. Nous avons eu la semaine dernière la joie d’accueillir un autre CEP. Vous êtes ici chez vous. Merci.
Merci aussi à chacun. C’est le Seigneur qui nous rassemble dans l’amour de son nom et la communion les uns avec les autres. Entrons dans cette Eucharistie en nous reconnaissant pécheurs, pauvres de cet amour et que l’Esprit Saint vienne vivifier en nous cet amour en nous reconnaissant pauvres et pécheurs.

Homélie : Chers frères et sœurs, vous avez entendu comme moi la finale de l’évangile : « Personne n’osait plus interroger Jésus ». Alors je ne sais pas ce que ça vous fait cette remarque. Lorsqu’on entend cela et qu’on a affaire à un intervenant, on peut penser deux choses : soit l’intervenant est trop impressionnant et on a peur de dire des bêtises, alors on se tait ; soit aussi parce qu’il a apporté la réponse aux questions que l’on peut se poser. Ça a l’air d’être tout à fait ça par rapport aux scribes : quelqu’un d’intelligent et qui connaît son affaire. Mais je pense personnellement qu’il y a quand même en Jésus cette grande qualité d’ouvrir le cœur, et lorsque le cœur a des réponses, il est en paix, de donner l’intelligence du cœur, l’intelligence non seulement des Écritures, mais aussi de ce pour quoi on est fait, de notre devoir d’aimer Dieu et le prochain.
La solennité de tous les Saints, que nous allons fêter demain, et la commémoration des défunts, après-demain, si proches, réveillent en nous un sentiment profond, celui de l’émotion au souvenir dont l’amour nous lie les uns aux autres dans une grande et même famille, celle des enfants de Dieu, enfants de Dieu voulus de Dieu qui est Père. Dans le prolongement de la mémoire de ces êtres chers, aujourd’hui, il est heureux que le Seigneur, dans sa Parole, nous recentre sur l’amour profond du Cœur de Dieu car Dieu a un cœur de Père, et j’oserais dire, de Mère.
Les trois lectures et le psaume sont donc centrés sur l’amour comme fondement, nécessité vitale et finalité de notre vie en Dieu. Chacune des lectures nous offre un aspect dans la relation, car aimer et être aimé ne se comprennent que dans la relation des personnes, et cela se traduit concrètement par la pensée, le cœur, la parole et les actes qui en découlent.
La première lecture tirée du Deutéronome nous enseigne que celui qui, en premier, a droit à la parole c’est le « Seigneur Notre Dieu », dont la Parole s’est faite chair, et que nous dit-il ? « Tu craindras, tu observeras, tu écouteras, tu veilleras, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta personne, de toute ta force, et ces paroles resteront gravées dans ton cœur ». La mémoire du cœur.
Nous comprenons que ces recommandations sont orientées uniquement vers Dieu, origine et source de tout bien. Elles traduisent le meilleur du cœur d’un Père qui veut le bonheur d’un fils, de son fils, tendrement aimé et qui, après d’ultimes recommandations -nous en avons tous reçus de la part des parents- le laisse partir dans la confiance. C’est la meilleure preuve de l’amour. La confiance c’est la clé qui ouvre le cœur.
En vous disant cela, je pense à ce qui s’est vécu, ici, au Prieuré, la semaine qui vient de s’achever. Nous avons accueilli un camp de formation d’une semaine pour des cheftaines. Nous avons aussi accueilli les membres du Village Saint Joseph, une structure chrétienne pour l’accueil et l’accompagnement des blessés de la vie. Nous avons vécu communautairement des temps de solidarité et de fraternité. Et s’il est un moment fort, c’est celui accompli dans la gratuité, dans l’entraide des services. Un autre moment fort est celui de la séparation, où les souhaits et recommandations exprimés les uns aux autres disent la qualité vraie et profonde de la relation fraternelle qui s’est construite et qui veut perdurer avec le désir de garder des liens, d’entretenir, de vivre et de transmettre ce que chacun a reçu et vécu dans la semaine.
Les recommandations de Dieu dans le Deutéronome que nous avons entendues ne sont pas restées lettre morte puisque le psalmiste, en fils reconnaissant, a su les écouter, les accueillir, les mettre à son profit dans sa vie, et il le chante. C’est ce que nous avons chanté dans le psaume. Il reconnaît dans le Seigneur, sa force, son rempart, sa forteresse, son libérateur, son bouclier, sa victoire. Ce sont ses mots. Sa reconnaissance se fait louange et action de grâce. Lorsque le cœur aime et est aimé, il chante !
De ce fait, il me vient aussi à l’esprit, une histoire entendue. Peut-être que vous la connaissez. Il s’agit de deux serviteurs à qui leur maître avait demandé un service difficile à réaliser. Le maître avait demandé à ses deux serviteurs d’emmener chacun, deux sacs de nourriture dans la montagne, pour secourir un pauvre à trois heures de marche. Lorsque les serviteurs virent les sacs de nourriture à transporter à dos d’homme, ils se sont rendu compte que c’était au-dessus de leur force. Très inquiets, ils se sont demandé, et c’est bien légitime, comment ils allaient s’en tirer. Après réflexion, ils se sont dit, mais après tout, si on allait prier ? Et ils sont allés prier. Le lendemain, le maître a appelé l’un de ses serviteurs, et lui a dit : « Écoute, j’ai réfléchi, trois sacs suffiront, tu n’en prendras donc qu’un ». Cependant si l’un ne portait qu’un sac, l’autre en portait deux quand même.
Et c’est ainsi, qu’ils sont partis, chacun de leur côté, pour emmener les sacs de nourriture à un pauvre, dans la montagne. Chose surprenante, ils sont arrivés en même temps, par des chemins différents, très surpris, l’un et l’autre. Après avoir accompli leur service, en redescendant, celui qui n’avait porté qu’un sac dit à l’autre : « Tu sais, quand on est allé prier, moi, devant la difficulté, j’ai demandé au Seigneur d’alléger ma charge, et le Seigneur m’a écouté puisque le maître m’a demandé de ne prendre qu’un sac. » Et de dire à l’autre : « Mais toi, comment as-tu fait ? » –  « Eh bien moi, dit l’autre, j’ai demandé au Seigneur de me donner la force d’accomplir ce service, de porter cette charge avec moi, et le Seigneur m’a donné la force de porter les deux sacs de nourriture ».
Voyez, en cette affaire, il y a deux conceptions de l’amour. La première, on peut reconnaître sa fragilité et dire au Seigneur : « c’est trop lourd, je n’en suis pas capable, je n’ai pas la force, donc allège ma charge ». Et le Seigneur va écouter et par miséricorde il va faire cette grâce. Car au fond, il veut notre bonheur.
Mais nous avons entendu aussi la confiance du psalmiste dans le psaume : « Seigneur, je t’aime, parce que tu me donnes la force ». Le deuxième serviteur, lui, s’en est complètement remis au Seigneur, et a demandé au Seigneur de porter avec lui la charge, et c’est ce qui s’est passé. Mais je pense que Dieu lui a inspiré cette prière. Nous avons deux conceptions de vie chrétienne. On peut accepter de suivre le Seigneur de deux manières différentes. Le Seigneur ne nous reprochera pas d’avoir choisi l’une ou l’autre, car il respecte infiniment notre liberté, mais ce qu’il nous demande, c’est surtout d’aimer, car au fond l’amour vrai nous dicte la conduite pour plaire à Dieu et pour le service du prochain.
Tout est fait pour et par amour. Nous pouvons comprendre que le service de porter la charge sur les épaules des serviteurs pour secourir un frère, est le symbole de la croix, du fardeau de notre humanité, dont la lettre aux Hébreux nous révèle qu’elle a été assumée par le Fils. Il l’assume en tant que Grand Prêtre pour sauver d’une manière définitive ceux qui s’avancent vers Dieu afin d’intercéder en leur faveur, en donnant sa vie en sacrifice.
Et parce que le Fils, vrai Dieu et vrai homme, s’est fait semblable à nous, il est en mesure, j’allais dire, de demander à chacun de nous de l’aimer en chacun de nos frères et de porter les fardeaux les uns des autres. Cela nous fait comprendre que l’autorité de Jésus ne vient pas de ce qu’il fut un homme parmi les hommes, ni un homme pour les hommes, elle vient de son mystère, de cette transcendance que s’efforce d’approfondir l’auteur de la lettre aux Hébreux. L’actualité permanente de Jésus est qu’il est le Médiateur, le seul Médiateur entre Dieu et les hommes, le seul Grand Prêtre dont le sacrifice a valeur éternelle.
C’est bien ce qu’il nous est donné de vivre en cette Eucharistie où nous est rendu présent celui qui enlève le poids de notre mortalité, c’est-à-dire le poids du péché du monde. Heureux sommes-nous d’être ses invités ! S’il vient en nous, c’est pour nous porter et nous porter jusqu’au Père. Le pauvre par excellence, c’est Dieu lui-même qui s’est fait pauvre, jusqu’à nous donner son Fils. C’est nous-mêmes qui sommes, j’allais dire, le fardeau de Dieu. Mais un fardeau qui a du prix. Il faut transformer ce fardeau, cette croix en bénédiction. Et c’est Lui qui nous transforme, pour que nous devenions bénédiction.
Ainsi Jésus est qualifié pour nous rappeler l’exigence de l’Évangile, en sa Parole qui est le commandement de l’amour : « Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,… » Le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur, tu aimeras le Seigneur ton Dieu… etc. Et voici le second : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de plus grand commandement que ceux-là ».
Le commandement de l’amour. Nous avons donc à aimer Dieu et le prochain de son amour à Lui, cet amour qu’il reçoit du Père et qui le pousse à sacrifier sa vie. Il s’agit moins d’aimer soi-même en l’autre que d’aimer Dieu dans l’autre, moins de se donner que de donner Dieu.
Si nous avions quelques difficultés à vivre cette exigence de l’amour, et c’est bien normal, parce qu’elle relève du don de la charité qui nous vient de Dieu, alors il nous faut contempler et prier Marie de nous guider et de nous élever sur le chemin intérieur de l’humilité qui se traduit en acte dans la charité, cet amour répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint. Amen.