33e Dimanche du Temps Ordinaire (A) 2023

19 novembre 2023

  • Frère Jean François	CROIZÉ Frère Jean François CROIZÉ

Introduction : PERE JEAN-FRANCOIS

« Encore un peu de temps le Seigneur sera là », venons-nous de chanter, et ce temps sera un temps de vérification si notre maison est construite sur le sable ou sur le roc, c’est-à-dire si à l’amour du Seigneur nous n’allons pas préférer notre propre péché. C’est en cela qu’il nous faut demander cette miséricorde du Seigneur pour nous rétablir dans son amour qui est un amour de pardon, de miséricorde.

Entrons dans la célébration du mystère de l’Eucharistie en reconnaissant que nous avons péché.

HOMELIE : PERE JEAN-FRANCOIS

Chers frères et sœurs, aujourd’hui dans l’Évangile le Seigneur nous parle du serviteur avisé, et du serviteur insensé, dimanche dernier c’était plutôt du côté féminin avec des jeunes filles avisées et des jeunes filles dites insensées. Il ne faut pas se tromper sur le sens de cette parabole, le Seigneur fait appel au discernement, un jugement de conscience, un jugement particulier. Dimanche prochain nous fêterons le Christ-Roi avec l’annonce d’un jugement universel.

Peut-être pour nous aider à entrer un peu plus dans la compréhension de cette parabole, je me servirai de la réflexion de Jean Cassien. Jean Cassien est un père du IIIème/IVème siècle, un père latin, c’est le dernier père latin. Il est né dans cette région de la Provence, il semblerait que ce soit par-là, d’une famille gallo-romaine, et pour parfaire son éducation, comme à l’époque les gens voyageaient beaucoup dans le bassin méditerranéen, hé bien il a beaucoup voyagé, et il fait référence justement au talent, il en parle.

Peut-être un retour sur son histoire personnelle pour comprendre un petit peu la suite. Quand il a fini ses études, ses lettres modernes de l’époque, il entendait parler d’un certain Jérôme qui sera St Jérôme, qui avait fondé une école biblique à Jérusalem, chercheur, traducteur de la Bible très connu, qui avait un retentissement et donc qui voulait parfaire lui-même sa culture c’est-à-dire biblique. Il est parti avec un ami le rejoindre à Bethléem, il passera cinq ans auprès de lui. Et au bout de ces cinq années, il pensera être fait pour une vie plutôt cénobitique, c’est-à-dire avec les moines du désert d’Égypte. Il y passera sept ans. Simplement il s’apercevra que ce n’est pas possible. Il avait quand même un tempérament qui ne s’adaptait pas trop à la vie cénobitique. Et il partira retrouver St Jean Chrysostome à Constantinople.

Auprès de St Jean Chrysostome, auprès de ce grand homme, ce phare de l’orient et de l’occident, il sera formé à la vie pastorale. Notamment il sera ordonné diacre. Et quand St Jean Chrysostome sera banni par l’impératrice et l’empereur, Jean Cassien reviendra à Rome, près du pape Saint Damase. Il passera cinq ans auprès du Pape, qui l’ordonnera prêtre. Il lui donnera comme mission de fonder des communautés féminines et masculines dans le sud de la France.

Tout au long de son périple, c’était quelqu’un qui était un observateur né. Il observera que dans tout le bassin méditerranéen il y avait énormément de comptoirs. Pourquoi ? Parce que chaque cité importante, chaque petit royaume battait monnaie et donc, avec les déplacements il fallait beaucoup de changeurs, ne serait-ce qu’à Jérusalem, au temple de Jérusalem, ils n’acceptaient que la monnaie du temple. Hé bien comme il y avait une foultitude de gens qui venaient de tout le bassin méditerranéen, il fallait des changeurs. C’était tellement important qu’ils avaient fini par investir le péristyle du temple.

Il y a une loi, au premier siècle d’Athènes, plutôt 80 lois qui avaient édité des normes pour la fabrication des pièces de monnaie. Et donc, St Jean Chrysostome, en voyant ces numismates, s’est aperçu qu’ils avaient une façon de procéder qui est très intéressante, et qui va nous aider à comprendre un petit peu notre Évangile.

Pour St Jean Chrysostome, un talent c’est nous-mêmes. Le talent bien sûr ça ressemble à une pièce d’argent, une pièce de monnaie, j’en prends une d’ailleurs. Voilà, bon, ce n’est pas un vrai talent, mais c’est une pièce qui va nous aider à comprendre. Et St Jean Cassien dit :

  • « Lorsque le numismate voyait une pièce, notamment au premier coup d’œil, ça lui disait quelque chose déjà de la valeur de cette pièce »

Et Jean Cassien dit :

  • « Lorsque nous voyons un chrétien, ça doit se voir sur sa figure »

Le visage c’est l’âme dit-on, et c’est vrai. Avons-nous une tête de ressuscité ? Enfin voilà, au moins ce que nous portons en nous il faut que ça transpire quelque part. C’est ça que dit Jean Cassien, le premier regard du numismate dit quelque chose. Ensuite, il va regarder l’effigie sur la pièce. Chaque pièce était frappée à l’effigie du prince, du gouverneur, du roi. Ça lui donnait la provenance de la pièce, quelle était la cité, etc. Et vous vous souvenez de cette question qui a été posée à Jésus par les Hérodiens, les Pharisiens :

  • « Devons-nous payer l’impôt à César ? »

Et Jésus :

  • « Montrez-moi une pièce de monnaie. De qui est cette effigie ? »

Et ils répondent :

  • « De César »
  • « Ecoutez, rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »

Autrement dit, de quelle effigie êtes-vous vous-mêmes ? Qu’est-ce qui nous donne notre propre effigie ? Hé bien c’est le Baptême ! Nous sommes à Christ, chrétiens. Nous sommes frappés à l’effigie de Dieu Lui-même, nous sommes divinisés si vous voulez, c’est important.

Troisièmement, il va vérifier quel est le poinçon, vous savez le poinçon c’est ce qui identifie authentifie l’atelier, parce qu’il y avait beaucoup de faussaires, l’atelier, le poinçon.

Pour nous, qu’est-ce qui authentifie notre vie chrétienne ? Bien sûr c’est le Baptême, mais le Baptême qu’est-ce que ça nous donne ? On parle du sacrement de Baptême. Le sacrement de Baptême c’est ce sacrement de caractère, le caractère, le sceau, l’onction de l’Esprit Saint imprimés dans l’âme. Ce n’est pas n’importe quoi. C’est le visage du Christ qui est imprimé dans l’âme. C’est ce visage qui doit transpirer nos gestes, nos paroles, notre agir humain. On ne veut pas se défaire d’un Baptême, nous sommes marqués du sceau de Dieu, en nous.

Ensuite, il va soupeser la pièce, c’est-à-dire que le poids de la pièce doit correspondre à sa valeur, et on connait bien cette phrase :

  • « Ton poids, c’est ton amour », Kabod, qui se traduit gloire, poids, amour.

Tu vaux ce que vaut ton amour. C’est ça avoir du poids. Ne pas éprouver, être léger, c’est-à-dire qu’est-ce qui nous habite ? C’est ça l’amour de charité. C’est un petit peu ce qui était reproché dimanche dernier vous savez, à ces jeunes filles dites insensées avec l’huile de la charité. La réserve était vide.

  • « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour », dit St Jean de la Croix, « c’est ça qui fait le poids de notre vie ».

Et ensuite le numismate, le changeur va prendre, on appelle ça, j’en ai oublié le nom, mais ce n’est pas grave, il va frapper la pièce pour voir quel est le son qui s’en dégage. La sonorité va lui dire précisément s’il n’y a pas eu de tricherie dans la composition du métal. Le trébuchet qui frappe la pièce pour avoir un son, dans notre vie c’est l’épreuve.

  • « C’est l’épreuve qui vérifie la qualité de notre foi », nous dit St Paul.

Et la joie, c’est l’épreuve traversée souvent. Ainsi, dans notre vie que ce soit ce que nous reflétons, ce dont nous vivons, ce que nous témoignons, le poids de notre amour, la vérité de notre foi, disent quelque chose de notre engagement, le talent que nous sommes, c’est-à-dire ce que nous avons reçu, c’est l’Esprit Saint, c’est Dieu Lui-même qui donne sa vie, c’est tout ce don qui fait la valeur que nous sommes nous-mêmes.

Je voudrais m’arrêter un petit peu sur la question des faussaires que dénonce Jean Cassien, et dont il en parle assez longuement. Mais bon, on va retenir simplement quatre formes de malfaçons si vous voulez :

  • La 1ère malfaçon c’est la fausse pièce.

C’est une pièce dont le métal n’est pas pur dit Cassien. C’est qu’il y a des pensées qui ne sont pas entièrement purifiées en nous. La garde du cœur s’est relâchée, et Cassien insiste sur la garde du cœur. Nous sommes responsables de ce que nous laissons entrer ce qui habite dans notre cœur, c’est-à-dire des pensées qui ne sont pas assez éprouvées, passées au feu céleste de l’Esprit Saint. Celui qui se laisse prendre par l’éclat trompeur de ses pensées mondaines ressemble à de l’or, mais n’en est pas. Il est tout en surface et risque de perdre sa vocation chrétienne en se laissant perdre dans l’imitation du monde des apparences. Or, « heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ».

  • La 2ème malfaçon dénoncée, c’est la pièce qui ne porte pas l’effigie royale ou divine.

Nous nous rappelons la question de Jésus : « De qui est l’effigie ? ». Or, le Baptême a scellé en nous le sceau, le caractère, l’Esprit-Saint, le caractère du Christ. Nous sommes à l’image du Christ que Cassien désigne par la pièce qui ne porte pas l’effigie royale, nos pensées qui défigurent le visage du Christ en nous. C’est le péché qui défigure ce visage, qui imprime des caractères contraires à l’enseignement du Christ et de l’Église comme dans les tentations au désert. Le diable est un maître en la matière, fourbe qu’il est, il dénature par un emploi artificieux, la Sainte Écriture, afin de nous offrir sous les dehors trompeurs de l’or, l’effigie de l’usurpateur. Et les rabbins commentent : « Nous ressusciterons à l’image et à la ressemblance de celui que nous avons choisi de servir ». Comme dit l’Écriture : « Tu ne peux pas servir Dieu et l’argent », c’est-à-dire esclave de l’argent.

  • La 3ème malfaçon c’est la pièce qui ne porte pas bien l’effigie royale, mais qui n’est pas d’authentique frappe.

Ce sont nos pensées particulièrement dangereuses pour le chrétien, car elles prennent mensongèrement les dehors de la vérité au secours d’un certain voile de miséricorde, de culte idolâtrique. Ces œuvres dit-il peuvent être bonnes en soi, mais elles peuvent mettre en péril la vie chrétienne si elles ne sont pas réalisées avec discernement, si elles ne sont pas faites dans une intention droite mais plutôt égoïste.

  • Enfin la 4ème malfaçon c’est la pièce trop légère.

Dans le monde ancien toutes les monnaies étaient frappées, fabriquées en faisant fondre du métal dans des moules, et après démoulage, il était nécessaire d’enlever les bavures. Cassien dit que pour les chrétiens, c’est toute la formation chrétienne. On sort bien du moule du Baptême configurés, mais ensuite il y a un travail de perfectionnement de la grâce. Une fois les talents en circulation beaucoup de faussaires peuvent continuer à rogner pour récupérer un peu de métal, c’est l’usure du temps, le laisser-aller. La pièce trop légère dans le monde ancien, c’était la légèreté du cœur.

Enfin, je reviens pour terminer au livre des proverbes qui nous donne en exemple une femme extraordinaire dans l’ordinaire de sa vie, et qui nous offre un exemple de fidélité dans la durée. Elle a mis sa confiance dans le Seigneur, et ses œuvres témoignent pour elle, et St Paul nous rappelle que baptisés, nous sommes tous fils de la Lumière, et qu’il nous faut rester vigilants, et rester sobres dans l’attente de la venue du Seigneur qui remettra Lui-même à chacun les fruits de sa récompense.

Alors demandons cette grâce de la fidélité, du discernement, puis, gardons la joie d’appartenir et de vivre précisément dans le cœur de Dieu.

AMEN