4ème Dimanche du Temps Ordinaire (B)

31 janvier 2021

  • Frère Jean François	CROIZÉ Frère Jean François CROIZÉ

Introduction : « Toi qui aimes la vie, toi qui veux le bonheur », oui, nous le désirons, tous. Eh bien, aujourd’hui, l’Église nous rappelle, dans la prière d’ouverture, le programme de notre vie chrétienne : « adorer Dieu sans partage et avoir pour tout homme une vraie charité ». Il convient d’insister sur le primat de l’adoration dans nos vies, la priorité du Dieu vivant.
C’est dans la mesure où nous vivons sous le regard de Dieu et de son amour que nous aurons pour tout homme, non seulement bienveillance et souci d’accueil, mais une vraie charité, un amour conforme au commandement nouveau que nous a donné le Christ. C’est en Dieu, notre Père, que tout homme est mon frère et en cela je peux avoir confiance dans le pardon et la miséricorde de Dieu. Et c’est à ce pardon et à cette miséricorde que nous nous recommandons.

 

Homélie : Chers Frères et Sœurs, on dit que quand on aime le temps ne compte pas. C’est vrai pour l’amour humain, c’est à vérifier pour l’amour de Dieu, particulièrement dans les temps de prière.
Notre monde est-il si différent de celui que nous découvrons dans les lectures que nous venons d’entendre ? Sans doute, en bien des domaines : les cultures, les coutumes, les mentalités, les modes de vie, mais le fond de l’homme, son cœur, pouvons-nous affirmer qu’il soit indifférent à toutes les passions et les idolâtries de nos prédécesseurs de tous les temps ? En écoutant la Parole de Dieu, avec un peu d’imagination, sans trahir la réalité et la vérité du message, les trois lectures nous plongent dans la réalité humaine, la nôtre, à organiser, à convertir, à transformer selon le plan de Dieu et ce n’est pas sans confrontation, mais toujours en vue d’un renouvellement, d’un ordre nouveau.
La première lecture au chapitre 18ème du Deutéronome est une réponse de Dieu au peuple par l’intermédiaire de Moïse. Ce peuple a peur de Dieu et demande un médiateur, ce que Dieu lui accorde sous forme de prophétie que Dieu précise : « Je leur susciterai du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi… », c’est-à-dire semblable à Moïse. Or ce peuple est ingouvernable, Moïse en a fait l’éprouvante expérience pendant les quarante années d’exode dans le désert.
Comment voulez-vous organiser et transformer une peuplade nomade en société stable et sédentaire ? Sous l’inspiration de Dieu, Moïse va instituer des juges pour rendre la justice, la justice humaine, des prêtres pour assurer la liturgie du culte, et à l’instar des autres peuples, plus tard il aura aussi son roi. Si ces fonctions sont organisées selon un ordre et un code de lois, cependant il manque un intermédiaire essentiel entre Dieu et le peuple : un prophète, un homme de Dieu dont le charisme ne vient pas des hommes mais de Dieu et qu’il convient d’écouter.
Le prophète est un homme ou une femme, dont la vie, dans une admirable cohérence, est fondée sur l’expérience de Dieu avec ses vouloirs divins, pour le bien de l’homme. A partir de ce contact intérieur, le prophète prend conscience de la volonté de Dieu et il cherche à s’y conformer de tout son être. La Parole de Dieu devient réalité active en lui, elle prend forme dans son cœur. Et c’est parce qu’il est habité, qu’une exigence spirituelle le contraint à l’annoncer. Alors sa vie, sa parole, son action s’unifient et se renforcent pour dire à quel point il devient crédible.
Cependant, le prophète, ce porteur de sens, d’inspiration et d’espérance, peut être témoin et interprète de l’histoire ; voué souvent à l’incompréhension, à la solitude et à la souffrance, tel est cet homme que l’Esprit-Saint saisit. Jésus sera le prophète parfait annoncé. Et plus qu’un prophète, puisqu’il sera la Parole incarnée. Tous ceux qui viendront après lui seront des prophètes de Jésus-Christ.
Saint Paul, apôtre des païens, est un prophète de Jésus-Christ. Un prophète qui se donne beaucoup de mal auprès de ses chers Corinthiens qu’il a évangélisés avec passion, au cœur de cette société gréco-romaine, dans le rayonnement d’Athènes, orgueilleuse de sa civilisation. Fut-il une ville plus vouée au culte du couple Luxe et Luxure que Corinthe ? Comment voulez-vous transformer une cité portuaire envasée dans la licence morale contraire à la décence, en sanctuaire de loyauté et de probité ? Mission prophétique humainement impossible, et pourtant, par la puissance de l’annonce évangélique du Salut, et la grande charité des premiers chrétiens, la grâce a agi incroyablement, et par le feu de la Parole de Dieu, elle a transformé et purifié le cœur et la conduite des Corinthiens et Corinthiennes qui ont accepté d’accueillir et de s’ouvrir à la parole évangélique de Saint Paul. Notons que saint Paul, en déclarant que l’état de virginité à cause du Seigneur vaut mieux que l’état du mariage, ne déprécie pas la condition de ceux qui sont mariés. Au contraire, il dit ailleurs que le mariage est un grand mystère qui se rapporte à l’amour du Christ pour son Église.
Le prophète, donc, est un éveilleur de la plénitude de l’amour comme signe d’éternité et d’incorruptibilité, signe de la vraie vie. Peut-être est-ce cela que Saint Paul désigne, lorsqu’il parle de la tension qui nous habite entre avoir le souci des affaires du monde et celle d’avoir le souci des affaires du Seigneur pour plaire au Seigneur. -Je ne crois pas que ceux qui sont consacrés dans la vie religieuse n’ont pas des soucis des affaires du monde-. L’enseignement de Saint-Paul est une lumière sur les obscurités de ceux qui conçoivent l’amour seulement dans l’horizon du temps présent et de la corporéité. L’abus du mot « amour », avec ses différentes significations, nous font comprendre combien il peut être problématique de choisir le juste chemin pour vivre dans l’amour de Dieu, mais combien il est plus heureux de vivre en cet amour divin et d’aimer d’un cœur vierge chaque frère et sœur. L’évangéliste Saint Matthieu dirait : « comprenne qui peut comprendre ». Mais celui qui, par grâce, comprendra sera rarement compris. Qu’il se souvienne de la parole du Seigneur : « A cause de Moi ».
Eh bien, remontons à la cause, c’est-à-dire Jésus à l’œuvre dans son ministère tel qu’il est décrit dans l’évangile de Saint Marc. La mission que Jésus va entreprendre aura pour prix sa vie, dans le sens où il dit : « ma vie nul ne la prend mais c’est Moi qui la donne ! » L’évangéliste nous décrit la première journée missionnaire de Jésus, et quelle journée ce fut en effet que ce sabbat ! Çà commençait pourtant bien par un enseignement, et puis tout à coup, nous voilà plongés en pleine foule orientale : il y a de l’ambiance, de la couleur, des cris, du mouvement. Et soudain, c’est la libération d’un homme sous possession diabolique. Alors, éclatent l’admiration, l’étonnement, la bousculade. « L’esprit impur ne supporte pas la présence de Jésus, alors il se met à vociférer en secouant l’homme avec violence et puis il sortit en poussant un grand cri. »
Dès cette première heure, nous savons de quoi sera faite l’évangélisation. Elle comprendra un double élément : des paroles et des signes, l’enseignement et les miracles. Paroles et miracles seront des irradiations de l’autorité et de la puissance de Jésus. Cette autorité d’enseignement est immédiatement accompagnée par la puissance dans l’action qui libère un homme tourmenté par un esprit impur. Le diable est un intrus dans l’homme qui est enfant de Dieu. La parole du Fils de Dieu chasse le Mauvais et met fin à une cohabitation dévastatrice et ruineuse. L’autorité de Jésus est l’autorité dans la compétence d’un homme riche de miséricorde divine et d’humanité. C’est ainsi que Saint Marc présente le premier miracle de Jésus.
Quand Jésus déclare que le Règne de Dieu est arrivé, c’est d’abord qu’est arrivée aussi la fin d’un autre règne, la fin de Satan. Jésus n’est pas venu amuser les gens en luttant contre des moulins à vent. Si Jésus, venu en ce monde, est d’un autre monde, il n’est ni un rêveur ni un utopique. Pour lui, Satan est quelqu’un, un être personnel et spirituel, intelligent mais pervers. Il est clair que dans l’homme tourmenté par une légion de démons, il voit, comme dans un miroir, l’humanité aliénée, privée de liberté et assujettie à d’autres pouvoirs obscurs. Que de démons sous forme d’idoles aux  nouveaux noms : argent, drogue, sexe, magie, passions de jeux, et addictions de toutes sortes… etc…
Jésus est un homme des profondeurs. Le peuple ne se trompe pas sur la valeur de son enseignement car il met en relation avec Dieu. Mais de plus, chose extraordinaire, il se fait obéir sans délai des puissances d’aliénation. Dans un cri de rage et de défaite, Satan révèle l’identité de Jésus : « Tu es le Saint de Dieu. » Jésus exerce la puissance de Dieu. On comprend le bouleversement des assistants : « Qu’est-ce que cela ? » La question traverse l’évangile de saint Marc, la réponse viendra d’un païen devant la croix : « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu ! »
La nouveauté de Jésus a fait irruption dans le monde : son enseignement n’est pas réductible à une doctrine, à une leçon sublime de théologie ou d’éthique à imposer aux épaules faibles de l’homme. La nouveauté, c’est Lui-même qui demande seulement à être écouté comme force libératrice, salvatrice. Sa parole est une parole qui ouvre, qui manifeste l’amour de Dieu, qui libère celui qui est victime du mal, qui l’arrache au pouvoir du Mauvais pour lui restituer sa dignité, sa liberté et la joie de fils de Dieu.
Cet évangile s’adresse à nous aujourd’hui, à chacun d’entre nous, afin que nous l’accueillions en demandant la purification de notre conscience et la lumière de la foi. Saint Bernard de Clairvaux disait ceci : « J’ai commis un péché grave, ma conscience sera tourmentée, mais elle ne sera pas choquée parce que je me souviendrai des blessures du Seigneur. Donc, si un remède si efficace et si puissant me vient à l’esprit, je ne peux plus être choqué par aucune maladie, si maligne soit-elle. Mon mérite est donc la miséricorde de Dieu, puisqu’il sera riche en miséricorde » (Discours n.61 sur le Cantique des cantiques). Ainsi s’exprimait Saint Bernard.
Nous avons besoin de « l’autorité » de Jésus, si différente de nos conceptions de l’autorité, et de celle des maîtres à penser de ce monde. Il ne parle pas avec présomption, sa chaire d’enseignement n’est pas placée en haut pour dominer mais à côté des pauvres et des pécheurs. Le Christ serviteur est autorité parce qu‘il a porté le visage de Dieu sur la terre, il a donné sa chair à son amour pour le Père, il a « renfermé » sa toute puissance dans sa miséricorde.
Jésus ne parle pas pour ne rien dire. Lui, il est Dieu. Lui, il descend jusqu’à la profondeur du cœur et il le guérit avec autorité, l’autorité de l’amour. Seulement Lui, peut nous guérir du mal en purifiant la source de nos mauvais désirs et comportements. L’important est que notre esprit et notre cœur soient retournés, c’est-à-dire tournés vers Jésus.
L’Eucharistie que nous célébrons nous y éduque et nous met sur le chemin qui commence ce dimanche avec l’évangile de Saint Marc, pour se conclure dans la contemplation de la croix avec la profession de foi du centurion : « Vraiment, celui-ci est le Fils de Dieu ! » Alors, étonnons-nous de la rencontre impensable avec un Dieu qui n’écrase pas l’homme mais qui se donne lui-même : il l’aime, il le libère pour qu’il vive. Nous ne pouvons communier en vérité à l’Eucharistie que si nous sommes en communion les uns avec les autres, nos frères.
Eh bien ! que l’étonnement de ceux qui écoutaient le Christ, il y a presque deux mille ans, devienne aussi le nôtre. A l’exemple de Marie et des premiers disciples, marchons en regardant le Christ qui nous introduit, pas après pas, dans la connaissance de son identité : l’humilité de Jésus-Christ Sauveur. Amen.