Fête de Sainte MONIQUE, mère de saint Augustin

27 août 2021

  • Père Richard Lehmann-Dronke, crvc Père Richard Lehmann-Dronke, crvc

Homélie : Chers confrères, Chers frères et sœurs en Christ!
La règle de notre Ordre, qui nous a été donnée par saint Augustin, met notamment l’accent sur unanimitas, c’est-à-dire l’unanimité, et la concordia. « Le premier objectif de votre vie commune est de vivre ensemble dans l’harmonie et d’être un seul cœur et une seule âme envers Dieu. » (Règle de saint Augustin I, 1) « Ainsi donc, vivez tous ensemble dans l’harmonie et l’amour, (ce qui signifie en latin : unanimiter et concorditer), et honorez en vous Dieu dont vous êtes devenus le temple. » (Règle de saint Augustin I, 6).
En ces jours, nous rendons grâce à Dieu pour les 50 ans d’existence de votre communauté ici à La Cotellerie. Par rapport au premier sens de la vie monastique souligné par Augustin, Sainte Monique, sa mère, peut être aussi pour nous un modèle et une avocate. Dans ses Confessions, Augustin décrit entre autres traits louables sa mère Monique, comme une femme qui a servi la « concordia » toute sa vie durant : « Lorsque les cœurs sont divisés et en désaccord quelque part, elle n’intervenait que pour pacifier au mieux. Lorsqu’elle entendait de part et d’autre beaucoup d’accusations allant dans le sens d’une rancœur débridée d’une amie présente tentant de condamner une ennemie absente par des paroles malveillantes, elle ne rapportait à l’autre que les propos qui peuvent servir à la réconciliation.
Je n’aurais pas considéré cela comme un bien si je n’avais pas eu à faire la triste expérience avec bon nombre de personnes, comme celles-ci, victimes de je ne sais quelle terrible contagion généralisée de péché, qui rapportent non seulement à l’ennemi en colère ce qui a été dit, mais encore qui y ajoutent ce qui n’a pas été dit ; – alors qu’au contraire, ce serait trop peu pour un être humain de ne pas causer ou aggraver l’inimitié entre les hommes en disant du mal, mais avoir plutôt le souci de neutraliser cette inimitié en disant du bien.
Et telle a été sa voie, et c’est de Toi (Seigneur) qu’elle l’a apprise, Toi le plus intime maître à l’école du cœur. »
(Confessions. IX, 9, 21)
Je voudrais souligner deux autres caractéristiques de sa vie aujourd’hui, en ce jour de sa fête, qui peuvent aussi être un exemple et une inspiration pour notre vie monastique.
Nous savons par les Confessions d’Augustin comment Sainte Monique, à travers les larmes et la prière, avec des paroles de supplication et une longue haleine, a accompagné son fils sur le chemin de sa recherche jusqu’à la réception du baptême. Que Sainte Monique soit pour nous un exemple et un intercesseur pour l’accompagnement des personnes de notre temps en recherche et en discernement. Que nos monastères soient des lieux où les personnes de notre génération en recherche puissent se tourner et trouver un bon accompagnement et une bonne orientation. Avant tout, en tant que religieux, dans la force de notre intimité avec Dieu, nous ne voulons écarter personne de nos cœurs, mais surtout recommander au Seigneur dans la prière et l’amour du cœur ceux qui, selon notre vision humaine, se sont égarés.
Dans une interprétation allégorique, Augustin s’est reconnu, ainsi que sa mère Monique, dans le jeune homme de Naïm, qui a été ressuscité des morts et rendu à sa mère veuve. Que ce récit, qui est l’Évangile du jour proclamé en cette fête, trouve toujours une actualisation dans les histoires de vie des personnes de notre temps. Aujourd’hui, nous voulons louer le Seigneur pour la façon dont, dans ce lieu de La Cotellerie, les gens ont été conduits à la joie de Pâques au cours des 50 dernières années.
Enfin, troisièmement, je voudrais parler de la sagesse de Sainte Monique. En automne, puis en hiver 386/387, Augustin séjourne chez des amis dans le domaine de Cassiciacum. Il a abandonné son emploi de professeur de rhétorique et se prépare à recevoir le baptême. Sa mère Monique est également présente. Monique participe également aux conversations spirituelles de ce groupe composé essentiellement de jeunes. Certains de ces dialogues sont consignés par écrit.
Dans quelques-uns de ces ouvrages, en l’occurrence, De beata vita et De ordine, Augustin fait état de l’habileté de sa mère et de sa capacité à préciser ses réflexions. Il qualifie sa mère de véritable philosophe et se réjouit visiblement de son intérêt et de sa participation aux conversations.
Voici un petit extrait de l’œuvre De beata vita : Alors, reprenant la parole : « Voulons-nous être heureux, leur demandai-je ? » A peine avais-je laissé échapper ces mots, qu’ils répondirent affirmativement tous d’une voix. « Trouvez-vous », leur dis-je, « qu’on soit heureux, quand on n’a pas ce que l’on veut ? » Ils répondirent négativement. « D’un autre côté, est-on toujours heureux, quand on a ce que l’on veut ? » Alors ma mère : « Quand on veut le bien et qu’on le possède, on est heureux; mais quand on veut ce qui est mauvais et quoiqu’on le possède, on est malheureux. » Alors souriant et plein de joie je lui dis : « Te voilà, ma mère, au sommet de la philosophie. » (Cf De beata vita II, 10).
À cette époque, Augustin comprend, grâce à sa mère, comment la foi conduit l’homme vers une connaissance et une sagesse plus profondes. Et dans ce respect de la sagesse, qui repose sur la connaissance de la foi, il voudrait lui-même être l’élève de sa mère.
Monique participe à nouveau à la réflexion des jeunes sur la question de savoir ce qui conduit une personne à la félicité : « À ce moment-là, ma mère s’est souvenue des paroles qui étaient profondément imprimées dans sa mémoire ; elle s’est pour ainsi dire éveillée à sa propre foi et a cité avec joie le verset de notre évêque : « Très Sainte Trinité, protège ceux qui t’invoquent. » Et elle ajoutait : « Le bonheur consiste sans doute à atteindre le but ; il faut avoir confiance que nous pouvons être conduits vers lui par une foi ferme, une espérance vivante et un amour ardent. » (De beata vita IV, 35).
Sur la base de la foi, une nouvelle philosophie chrétienne commence. Dans les dialogues, Augustin s’adresse une fois directement à sa mère : « Je ne veux pas, ma mère, que tu ignores le sens du mot grec qui désigne la philosophie ; il signifie en latin ‘amour de la sagesse’. De là vient que les saintes Écritures, que tu médites avec tant d’ardeur, n’ordonnent pas d’éviter et de mépriser absolument tous les philosophes, mais les philosophes de ce monde. Qu’il y ait un autre monde élevé bien au-dessus de nos yeux, et que peut contempler la seule intelligence des hommes sensés, le Christ lui-même nous l’enseigne suffisamment. Il ne dit point : « Ma royauté n’est pas du monde, » mais, « ma royauté n’est pas de ce monde ».  Vouloir nous éloigner de toute philosophie, serait nous condamner à n’aimer point la sagesse, et mes écrits contiendraient donc un blâme contre toi, si tu n’aimais pas la sagesse ; nul blâme si tu l’aimais médiocrement ; bien moins encore si ton amour pour la sagesse égalait le mien. Mais comme tu aimes la sagesse beaucoup plus que tu n’aimes ton fils lui-même, et je sais pourtant combien tu l’aimes ; comme tu y fais tant de progrès que, ni le malheur, quelque subit qu’il soit, ni la mort même ne te causeraient aucun effroi, ce qui, aux yeux des plus doctes est la difficulté suprême, et de l’aveu de tous, le point culminant de la philosophie, ne serai-je pas heureux de me faire même ton disciple ? » (De ordine I, 32).
Avec ce souvenir de Monique pendant les mois bénis de Cassiciacum, je souhaite que nos monastères soient des lieux de réflexion plus profonde, de retraite, et d’exercices spirituels. Que Sainte Monique soit notre modèle et notre exemple ! Nous voulons œuvrer, pour que les personnes qui aspirent à une connaissance plus profonde de la vérité, les personnes chez qui naissent la faim et la soif de vérité, la nourriture qui satisfait le désir de l’âme, puissent trouver dans nos monastères les lieux appropriés pour cela ; et y rencontrer des personnes ayant la sagesse d’une Sainte Monique. En ce sens, puisse La Cotellerie être pour beaucoup de personnes un Cassiciacum pour l’éveil et le renforcement de la foi et de la sagesse qui s’y trouvent. (Amen).