PRÉSENTATION DU SEIGNEUR 2022

2 février 2022

  • Monseigneur Thierry Scherrer Monseigneur Thierry Scherrer

Mes amis,
Au cœur de ce beau récit de la Présentation du Seigneur au Temple, il y a cette exclamation émerveillée du vieillard Siméon tenant dans ses bras l’Enfant-Jésus : « Mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples ». C’est cette affirmation de foi, qui est aussi un cri du cœur, que j’aimerais vous inviter à accueillir aujourd’hui. Il se trouve que nous célébrons en ce jour le 150ème anniversaire de la reconnaissance canonique par Mgr Casimir Wicart, premier évêque de Laval, de l’apparition de Notre-Dame à Pontmain. C’était le 2 février 1872. Permettez donc qu’il y ait dans la tonalité de l’homélie de votre évêque aujourd’hui la même insistance exhortative que celle qui accompagnait le message de Marie lorsqu’elle s’adressa à tous les chrétiens rassemblés le 17 janvier 1871 à Pontmain.
« Mes yeux ont vu le salut ». Il me semble que, dans la lumière de cette parole, nous pouvons explorer à nouveau ce matin les profondeurs de notre vocation de consacrés. La vocation consacrée, en effet, la vocation religieuse n’est rien d’autre et rien de moins que « l’expropriation d’une existence privée » pour qu’elle soit mise au service du salut universel. Aussi, à chacune et chacun, le Seigneur ce matin repose la question décisive : « À la suite de Syméon, tes yeux (pas ceux du corps, mais les yeux de ta foi aimante) sont-ils assez purs pour voir le salut qu’aujourd’hui encore j’offre à tous les peuples » ? Et si réellement tu vois ce salut, consens-tu alorsà t’en remettre entièrement à Dieu pour être donné par lui au monde à sauver ? Ce « oui » libre et personnel que nous avons dit à l’aube de notre engagement dans la vie consacrée, pouvons-nous le redire aujourd’hui en l’élargissant à la dimension de l’Église et du monde ? Se peut-il que notre disponibilité ne soit pas enchâssée dans les limites de nos attentes et de nos désirs par trop subjectifs mais qu’elle soit plus largement mise au service de la rédemption du monde, mise au service d’un monde à sauver ? Se peut-il, en définitive, que notre disponibilité soit inconditionnelle à l’exemple du oui de Jésus et de Marie ? Allons-nous accepter, comme eux, d’être envoyés et conduits par le Père bien au-delà de notre volonté humaine et devenir ainsi des instruments aussi dociles que possible entre les mains du Sauveur ? Seule cette disponibilité-là a une force rédemptrice dans la grâce du Christ. C’est ce qui justifie, dans l’Évangile, la radicalité de l’appel de Jésus à tout quitter pour le suivre.
« Mes yeux ont vu ton salut ». C’est la profession de foi d’un vieil israélite qui voit dans le Christ l’accomplissement de toutes les prophéties, qui reconnaît en Jésus, et en Lui seul, le don de Dieu pour le salut de l’homme. Et donc, nous voici provoqués à notre tour à cet refaire cet acte de foi à l’étape qui est la nôtre et dans la situation pas simple, il faut bien le reconnaître, que vivent nos familles religieuses aujourd’hui. Lorsque vient, en effet, le temps de l’érosion des vocations, du vieillissement des communautés, lorsque nos congrégations ne sont plus en capacité, autant qu’avant, d’exercer le charisme fondateur qui leur est propre, lorsque – apparemment au moins – les jeunes ne voient plus la vie religieuse comme une option appropriée capable de canaliser leur idéal et leur générosité,la tentation du découragement n’est pas loin jusqu’à une possible remise en question de son appel personnel. Me serais-je égaré, me serais-je trompé ? Avec ce doute porté sur nos capacités réelles : dans les conditions de pauvreté qui sont les nôtres, vais-je pouvoir tenir jusqu’au bout mon engagement à la suite du Christ ? Le vieillissement de nos communautés, c’est trop clair, peut entraîner en leur sein un manque de vitalité et de créativité et la peur de prendre des risques et d’assumer de nouvelles initiatives.
C’est là que l’appel nous est adressé une fois de plus à miser pour de bon notre vie sur la personne de Jésus. Et miser sur Jésus, miser sur sa personne, sur son destin, sur sa volonté, c’est entrer dans une obéissance qui nous conduise logiquement à « perdre notre vie » et à « porter notre croix » à la suite du Christ. Nous le savons bien – même si le chemin est long pour y parvenir –, seule une donation totale et inconditionnée peut-être féconde au sein de notre Église.Miser sur Jésus, tout quitter à cause de lui, c’est consentir à sortir de l’orbite de son propre moi pour ne s’accrocher qu’à Jésus, ne compter que sur lui, ne tenir que sur lui, n’avoir pas d’autre point d’appui que lui.« Mes yeux ont vu le salut ». Pour voir le salut de Dieu, il nous faut préalablement, comme Syméon, prendre Jésus dans nos bras et le serrer tout contre son cœur. C’est cela, tout miser sur la personne de Jésus. Il est la « Lumière pour éclairer les nations », il est la lumière de nos vies, la lumière de nos cœurs. Je pense à ce qu’écrivait l’auteur des Odes de Salomon, un écrit chrétien du 1er siècle : « Ma joie, c’est le Seigneur, car il est mon soleil. Grâce à lui, j’ai acquis des yeux, et j’ai vu son jour saint ». Prendre Jésus dans ses bras, le serrer tout contre son cœur à l’instar de Syméon, c’est goûter la joie intense de ceux et celles qui se sont exposés au regard de Jésus et à sa présence d’amour. Même au plus profond de nos nuits, Jésus, « l’Astre d’en-haut qui vient nous visiter » peut, de sa lumière, nous envelopper de toutes parts sans laisser place à aucune ombre. Alors permettez-moi d’y insister : en ces temps incertains que nous vivons, en cette situation d’appauvrissement et de purification aussi que traversent nos Églises, plutôt que de déplorer la rudesse de nos conditions d’existence, ce que le Seigneur nous demande, c’est que nous mettions notre existence personnelle à la disposition de sa volonté de salut.
Dans la vie consacrée, cette disponibilité prend forme dans les trois conseils évangéliques de chasteté, pauvreté et obéissance. « Nul autre que toi » (c’est la virginité), « rien d’autre que toi » (c’est la pauvreté), « non pas ma volonté, mais la tienne » (c’est l’obéissance). Ces trois vœux concourent à la dynamique de cette expropriation de nous-mêmes pour le Royaume, expropriation de nous-mêmes pour devenir avec le Christ instruments du salut du monde. Que demander d’autre au Seigneur, en définitive, sinon ce courage de l’engagement ! Que demander d’autre sinon ce réveil en nous de toutes les forces du don, celles du cœur, du corps, de l’intelligence pour que nous soyons pleinement à la hauteur de cette mission d’amour que Dieu nous confie.Nous voici convoqués au fond à un acte de foi : croire que, si Dieu nous a tous et chacun appelés, c’est parce qu’Il nous aime, que nous avons du prix à ses yeux. Croire qu’en le rechoisissant comme notre premier et unique amour, il nous inspirera des manières nouvelles de vivre les charismes de nos fondateurs pour répondre aux appels les plus pressants de notre temps. Croire que, seul un sursaut donné à notre engagement dans l’amour et dans le don de soi, réallumera la joie dans les cœurs, dans le nôtre d’abord, et dans le cœur de tous ceux que nous croiserons sur nos routes.Qu’il en soit ainsi. Amen.