PRÉSENTATION DU SEIGNEUR AU TEMPLE

2 février 2021

  • Monseigneur Thierry Scherrer Monseigneur Thierry Scherrer

J’ai fait le choix ce matin de revisiter notre propre appel à la vie consacrée dans la lumière de la vocation de saint Joseph. C’est la publication de la lettre apostolique « Patris corde » (un cœur de Père) qui nous en offre l’opportunité. Le pape François l’a publiée pour marquer le 150ème anniversaire de la proclamation par Pie IX de Saint-Joseph, patron de l’Église catholique (8 décembre 1870). Que peut nous apporter saint Joseph, à nous consacrés ? Que pouvons-nous accueillir comme exemple et encouragement de son témoignage et de sa vie ? Deux choses, au moins :
1. D’abord, son effacement et son humilité.
Joseph n’a rien d’un « m’as-tu-vu », d’un homme en besoin de reconnaissance. François nous redit qu’il « vécut en cachette dans le petit village inconnu de Nazareth en Galilée, d’où il était dit « qu’il ne surgit aucun prophète » et « qu’il ne peut jamais en sortir rien de bon » ». (cf Jean 7, 52 ; 1,46).
C’est la première lumière que nous pouvons recevoir de Joseph pour nous, consacrés : comme lui, nous sommes convoqués à un style de vie et de présence marqué par l’humilité, la simplicité et la discrétion, à l’image du grain de sénevé de l’Évangile. « Pour vivre heureux, vivons cachés », dit une citation célèbre. Saint Paul le dit avec plus de profondeur encore : « Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Colossiens 3,3). Se cacher en Dieu ne veut pas dire fuir le monde. Ce qu’il faut fuir, ce n’est pas le monde mais sa mondanité. Cet appel est sans doute plus impérieux dans le contexte de sécularisation qui gagne nos sociétés occidentales jadis chrétiennes. Nous devons sereinement et sans nostalgie faire le constat d’un effacement ou d’un retrait des valeurs chrétiennes du champ de la culture contemporaine et en tirer les conséquences pour nous-mêmes et par rapport à la manière de vivre notre appel singulier. Car c’est précisément dans ce contexte de marginalisation de la foi que notre témoignage est aujourd’hui attendu. Cachée aux yeux du monde, notre existence peut, à l’école de Marie et de Joseph, devenir rayonnante de l’amour et de la paix du Christ. Cela exige, bien sûr, un surcroît de détermination et de force intérieure, et cette attitude profondément théologale qui refuse les ruminations moroses et se traduit par une fidélité sans cesse renouvelée à la joie de Jésus. Aussi, la grâce à demander à Saint-Joseph est de tenir quoiqu’il en coûte notre poste de veilleur : quoiqu’il en coûte, c’est-à-dire dans ces dispositions intérieures mêmes par lesquelles Joseph fut appelé à rendre témoignage à Dieu, lui qui « espéra contre toute espérance » (Romains 4,18).
            2. Ensuite, son attachement inconditionnel à la personne de Jésus. Ce sont les tout premiers mots de l’exhortation du pape François : « Avec un cœur de père : c’est ainsi que Joseph a aimé Jésus ». De quelle manière (Jésus) Joseph a-t-il aimé l’enfant confié par Dieu à ses soins et à sa garde ? Avec tendresse, avec courage, avec responsabilité.
– Avec tendresse, d’abord : l’Évangile ne parle pas bien sûr d’attitudes affectées ou sentimentales de la part de Joseph. Sobrement, il relève à plusieurs reprises cette expression suggestive : « Joseph prit l’enfant et sa mère ». C’est par mille prévenances et attentions du cœur que Joseph a exprimé le prix que Jésus et Marie avaient à ses yeux. [Et donc je pose la question : est-ce que nous aimons Jésus avec tendresse, et cette tendresse se manifeste-t-elle dans nos relations avec nos frères et sœurs de communauté, et avec tous ceux et celles que le Seigneur place sur la route de notre apostolat ?]
– Avec courage, ensuite, un « courage créatif », nous dit le pape. On sait les difficultés inouïes par lesquels Joseph a dû passer pour protéger Jésus et sa Mère des dangers qui menaçaient sa vie. « Devant une difficulté, écrit notre Pape François, on peut s’arrêter et abandonner la partie, ou bien on peut se donner de la peine ». Qu’a fait Joseph ? Il a choisi de relever les défis dans des conditions parfois périlleuses (pensons à la fuite en Égypte face aux menaces du roi Hérode). Joseph est le « vrai miracle par lequel Dieu sauve l’Enfant et sa Mère ». Joseph est le modèle de ceux qui, loin de capituler, de baisser les bras, savent « transformer un problème en opportunité » (cf. n. 5) pour franchir les obstacles et aller de l’avant.
– Avec responsabilité, enfin : la première responsabilité d’un père est éducative. Elle est de transmettre à ses enfants les valeurs qui confèrent à l’existence humaine son sens et sa dignité. C’est ainsi que Jésus a appris de Joseph la valeur du travail, la fierté et la joie de pouvoir manger le pain que l’on a gagné à la sueur de son front. [Est-ce que nous, quand nous nous mettons à table, le faisons-nous avec cette fierté d’avoir aussi gagné notre pain et la joie d’avoir pu transmettre aux autres, avec responsabilité, les valeurs de l’Évangile dans l’apostolat qui nous est confié ?]
Il n’est pas difficile d’appliquer tout cela à la réalité de nos situations de consacrés. En ces temps incertains que traversent nos institutions et nos communautés, il nous est demandé principalement deux choses :
– aimer Jésus par-dessus tout et le faire aimer. « Les religieux et les religieuses ne sont pas là pour faire joli et nous rappeler le Moyen Âge. Ils sont là parce que l’amour du Christ a tous les droits et qu’il nous entraîne au large ». (Père Michel Gitton, prêtre du diocèse de Paris, fondateur de la communauté apostolique Aïn Kareim).
– au cœur des vicissitudes, nous abandonner plus que jamais à la Providence en prenant le parti de la confiance. Je trouve particulièrement éclairant ce que dit François au numéro 4 : « La vie spirituelle que Joseph nous montre n’est pas un chemin qui explique, mais un chemin qui accueille (…). Seul le Seigneur peut nous donner la force d’accueillir la vie telle qu’elle est, de faire aussi place à cette partie contradictoire, inattendue, décevante de l’existence ». Une autre manière de nous dire que notre vie de foi n’est pas un chemin rectiligne, mais un chemin qui connaît des passages lumineux et des tunnels obscurs, des horizons ouverts et des sentiers tortueux et incertains. C’est cette existence concrète, avec ses hauts et ses bas, que la Providence veut accompagner de sa bienveillance. Il vaut mieux avancer boiteux, mais joyeux, sur la route de l’Évangile que de piétiner et faire du sur-place en cultivant la tristesse et la morosité.
Permettez-moi, pour conclure, d’ajouter une dernière considération en lien avec la crise sanitaire que nous traversons. Si Joseph a été l’homme des attentions concrètes aux besoins de la Sainte Famille, à ses nécessités matérielles et vitales, l’Évangile le montre tourné résolument vers une vie plus grande que la vie simplement organique ou biologique, qui est la vie éternelle, but ultime de l’existence des hommes. Or, nous voyons la focalisation qui s’est produite ces derniers mois sur ce qu’on pourrait appeler le « panmédicalisme » ou le tout-sanitaire. La santé est devenue notre dogme, la survie notre préoccupation première. Or, si nous limitons notre existence à cet horizon restreint, notre vie s’expose ni plus ni moins au risque de l’insignifiance. Comme le dit François dans son exhortation « Patris corde » : « Au lieu de se faire signe de la beauté et de la joie de l’amour, elle (notre existence) risque de n’exprimer que malheur, tristesse et frustration ». Bien sûr qu’il faut prendre soin de soi et le faire aussi pour ne pas mettre les autres en danger. Ce n’est pas moi, votre évêque, qui vais vous inciter à ne pas vous conformer aux règles en vigueur. C’est d’ailleurs ce qui a conduit le pape François à encourager la vaccination. Mais il peut y avoir une manière excessive de se préoccuper de soi, de sa santé qui obscurcit l’horizon eschatologique de la vie chrétienne en général et de la vie consacrée en particulier. Je vous encourage à lire à ce propos un petit livre paru dernièrement : « La déraison sanitaire » d’Alexandra LAIGNEL-LAVASTINE (Éditions Le bord de l’eau). Ce livre est un vif réquisitoire contre le culte de la vie par-dessus tout. L’auteure, philosophe et historienne des idées, nous invite à voir notre vie de confinés autrement et dans tous ses aspects : pas simplement biologiques, mais aussi spirituels, politiques, moraux et métaphysiques.

Demandons à Joseph de réveiller en nous l’amour brûlant de Jésus et de son Église, la confiance inébranlable en Dieu en toutes circonstances, et cet élan joyeux vers le Royaume nouveau dont nos existences de consacrés doivent être le signe. Amen.

+ Thierry Scherrer
Évêque de Laval