25e Dimanche du Temps Ordinaire (A) 2023
24 septembre 2023
- Frère Jean François CROIZÉ
Introduction : C’est aujourd’hui la journée du migrant et de l’émigré. Et c’est toute l’Église qui est en prière. Nous venons de chanter « Dieu de tendresse, Dieu de pitié, Dieu plein d’amour et de fidélité, Dieu qui pardonnes à ceux qui t’aiment ».
Demandons au Seigneur d’avoir ce cœur grand et large comme le cœur de Dieu, d’avoir des entrailles de miséricorde, car cet appel aujourd’hui qui est adressé, lancé au monde par le Pape François, c’est le cri du cœur de Dieu. Il faut entendre, il faut s’unir à la prière de toute l’Église, pour réveiller les consciences. Car tous ceux qui se perdent, ce sont tous ceux-là que le Seigneur recherche, que le Seigneur veut sauver.
Demandons au Seigneur ce cœur bon, ce cœur généreux, qui voit en chaque frère une présence de Dieu. Demandons au Seigneur de convertir notre cœur, de prier aussi pour toutes ces personnes qui maltraitent d’autres personnes, qui obligent aussi des migrants à partir.
Reconnaissons-nous pécheurs. Préparons-nous à célébrer le mystère de l’Eucharistie en reconnaissant que nous avons péché.
Homélie : Chers frères et sœurs, ce que nous avons entendu dans l’Évangile, bien sûr, c’est une parabole. Mais concrètement dans la vie de Jésus, comment s’est-il passé, comment Jésus a-t-il mis en pratique cette parabole ? On peut prendre l’exemple de deux personnages, je pense : celui de Pierre et celui du larron sur la croix.
Jésus a rejoint Pierre. Il l’a appelé. Pierre est venu à sa suite. Jésus est allé loger chez Pierre. Un jour Pierre lui a dit : « Nous qui t’avons suivi, qui avons tout quitté, qu’est-ce que nous allons recevoir en échange ? Quel sera notre héritage ? » Jésus lui promet quantité de frères et puis, il finit par dire : « et avec cela des persécutions ».
Jésus a rejoint Pierre. Pierre a vécu avec Jésus. Ça a duré du temps quand même, deux ans au moins. Et Pierre a cheminé, il a suivi Jésus et à l’issue, il donnera sa vie pour Jésus.
Le larron, lui, Jésus l’a rejoint sur la croix. A la fin de sa vie, ce sont les derniers moments. Lorsqu’il était torturé sur la croix, Jésus partageait cette peine. Et le larron, voyant Jésus le rejoindre, quelque part, alors que ce larron savait que Jésus était juste, appelle au secours. Il ouvre son cœur, son regard, dans un cri : « Seigneur, souviens-toi de moi ! » Et Jésus ne lui promet pas cent frères, cent sœurs et je ne sais pas quoi. Il lui promet d’être avec lui, c’est-à-dire il lui promet Dieu, Lui-même.
C’est ainsi, comme dit Jésus dans l’Évangile, que les derniers seront premiers, les premiers seront derniers, c’est-à-dire que le larron a précédé Pierre dans l’entrée du Royaume. Et en cela, le Seigneur nous demande d’avoir quelque chose de ce regard. Non pas le regard d’un maitre, d’un puissant, mais plus que cela, c’est le regard d’un frère, et encore d’avantage, le regard et le cœur de Dieu, dans nos façons de penser, de juger. De comprendre les choses.
Et c’est à cela que Dieu, aujourd’hui, nous interpelle à travers cet appel à la conscience qui retentit, qui a retentit avec le Pape François. C’est quand même déchirant : imaginons-nous traverser sur une barque et périr dans des souffrances effroyables.
Oui, en entendant les trois lectures et le psaume, nous comprenons que le Seigneur est toujours en sortie, pour rejoindre chacun, là où il est, et en prenant le chemin de chacun et non pas d’en haut. Il faut se placer à ce niveau-là. Et il va au-devant de ceux qui sont en attente et aussi de ceux qui sont en perte d’espérance, d’espoir.
Et la parabole des ouvriers de la onzième heure, bien sûr, nous déconcerte, autant qu’elle nous émerveille. Mais par là-même, elle nous introduit dans une meilleure connaissance de la pensée la plus profonde de Dieu, car le Seigneur Dieu dit : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins. » « Qui donc nous fera connaitre la pensée du Seigneur ? », se demande Saint Paul.
Il ne faut pas oublier que tout ce que nous sommes, ce que nous avons, ce que nous recevons, tout cela est un don de Dieu. Et en entendant la Parole de Dieu, il nous faut reconnaitre que les pensées de Dieu ne concordent pas avec nos appréciations mercantiles. La justice de Dieu est bien supérieure, bien sûr, aux appréciations de l’Homme.
Avec le psalmiste, il nous faut confesser que « la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres » et qu’« il est juste en toutes ses voies. » Il nous faut comprendre que Dieu agit comme un Père, dont la bonté est sans mesure. Qu’attendons-nous de notre père en ce monde ? D’être aimé, d’être reconnu. Oui.
Et c’est cette attitude profonde, qu’il nous faut avoir. Jésus lui-même, bien sûr, nous l’enseigne notamment par cette étonnante parabole. Il nous faut entendre tout d’abord que c’est Dieu Lui-même qui nous appelle. Dieu cherche l’Homme plus encore que l’Homme cherche Dieu. Et souvent l’Homme écarte l’Homme de Dieu. « Non, il ne dort pas, ni ne sommeille le gardien d’Israël. » Et dès le lever du jour, c’est encore lui qui sort sur la place afin de rechercher des ouvriers pour sa vigne.
La vendange est abondante, comme la moisson est abondante et les ouvriers sont trop peu nombreux. Et à toute heure du jour et de la vie, Il sort inlassablement, à la rencontre de l’Homme, pour dire à tous les désœuvrés : « Allez, vous aussi, à ma vigne. » Dieu ne cesse jamais de se lever pour s’avancer vers nous. Il marche vers nous. Son désir de nous est tel, qu’Il n’a jamais de cesse tant qu’Il ne nous a pas sauvés.
Le Fils de l’Homme est venu chercher ceux qui étaient perdus. Avant même que nous ne l’ayons choisi, c’est lui qui nous a choisis. Il a choisi de tout perdre, afin de tous nous rassembler. Nous ne sommes ni abandonnés, ni oubliés. Nous sommes dans la pensée de Dieu.
Le Père a une telle passion de nous, qu’Il n’en finit jamais de nous inviter à sa vigne, c’est-à-dire au partage de sa Vie. Mais Dieu ne cherche pas que des cœurs à aimer, Il cherche aussi des bonnes volontés.
C’est, je crois, le deuxième enseignement de la parabole. Dire « Seigneur, Seigneur » ne suffit pas, Dieu veut, bien sûr, des âmes brûlantes, et il en faut, mais Il veut aussi des âmes agissantes et qui fructifient. N’oublions pas que notre existence est comme une vigne, où le Seigneur est à l’œuvre. Nous avons, nous-mêmes, à être travaillés, taillés, plantés, fructifiés.
« Le travail est avant tout pour l’Homme, et non l’Homme pour le travail. » a écrit Jean-Paul II dans son encyclique Laborem exercens. Mais en travaillant aux œuvres de Dieu, l’Homme devient un peu plus Fils de Dieu. « Mon Père travaille et moi aussi, je travaille. » nous dit Jésus. Celui qui est en Dieu, est devenu semblable à nous, a consacré la plus grande partie de sa vie au travail de charpentier. Oui, chaque jour, Dieu nous appelle à coopérer à l’avancée du Royaume.
« Allez, vous aussi, travailler à ma vigne. » Attendre le Ciel ne suffit pas. Il se conquiert aussi par le travail de la vigne. Et la vigne du Seigneur tout-puissant, c’est la Terre des Hommes aussi. Certes, « pour moi, vivre, c’est le Christ », déclare Saint Paul « et mourir serait un gain. » Il faut donc œuvrer comme Dieu agirait par nous. C’est cela. Il faudrait avoir ce réflexe : ce que je fais, ce que je pense, comment j’agis, il faut que je le fasse comme si Dieu vraiment agissait en moi.
Et Dieu ne juge pas selon l’étroitesse de nos estimations, mais selon la magnificence de son cœur. Nous sommes toujours en-deçà du bonheur proposé par Dieu, comme nous nous risquons à le lui demander. Par ailleurs, où serait la justice dans la parabole ? Ainsi chacun peut-il répondre s’il le veut, dès qu’il lui est donné d’entendre la voix du Seigneur, puisque ce qui était promis au premier a été donné.
Et Dieu n’a pas joué à cache-cache. Il a d’abord appelé ceux qui sont venus les derniers, pour que ce soit clair. Il a donné selon son cœur. Et aux premiers, Il a donné ce qui a été convenu. Mais le cœur a ses propres raisons et Dieu veut donner, Il donne tout son bien. Ils n’ont pas reçu moins. Ils ont reçu ce qui était convenu aux premiers et selon le cœur de Dieu aux deuxièmes.
Au fond, c’est l’envie qui fait chuter l’Homme au premier jour. Il ne faut pas que la jalousie nous fasse encore trébucher au dernier soir. Nous ne pouvons plus tolérer d’avoir pour critère l’étroitesse de notre cœur, quand nous est proposée l’action de grâce devant la largesse du cœur de Dieu. Et il se rend malheureux, celui qui s’enfonce dans la mesquinerie, l’envie, quand éclate de joie celui qui se félicite de voir la faveur donnée à son frère.
Qu’a donc un tel pour être heureux ? Simplement ceci : il a banni de sa vie toute trace de jalousie. La jalousie, c’est le premier péché, celui qui est le plus répandu. Et la pièce d’argent remise par le maitre au soir de la vie, c’est le bonheur suprême du Royaume éternel.
Au fond, je finirais là, rappelons-nous que Jésus s’est lui-même déclaré être la vigne qui porte son fruit en donnant sa vie, en versant son sang. Suprême preuve de son amour, signe sacramentel de ce sang versé pour sceller l’Alliance nouvelle. Travailler à la vigne du Seigneur, c’est demeurer dans son amour et cela n’a pas de prix.
Il nous faut contempler et aimer Marie, notre Mère, pour nous souvenir que tous les enfants de la Terre, tous, sont ses enfants. Et donc, apprendre d’elle à vivre en frères et se réjouir qu’un jour, nous serons dans le cœur-même de Dieu. Amen.